La pause: (tenter de) se ressourcer avant le grand procès
Je ne me sentais pas fatiguée à ce point-là, il m'a fallu dormir toute une partie du mercredi pour le réaliser. Le relâchement sans doute. J'ai pu assumer un rendez-vous client, au moins un pour ce mois « réservé à la justice », mais au prix d'une concentration intense. Mon esprit n'était ni au tribunal, ni au travail ; il était nulle part, juste en pause.
Les cauchemars sont vite arrivés : alcool, drogue, tentative d'immolation par mon mari, fuite, trains... Mon cerveau n'a pas cherché longtemps sa source d'inspiration. La nuit, je vivais ces vies de misères que j'avais écoutées. Il fallait bien qu’il en fasse quelque chose, que ça sorte…
Un message à la psy m'a permis d'avoir rapidement un entretien pour me décharger de toute cette tension nerveuse. Je veux en être libérée pour d'affronter le grand procès de lundi. Cette femme écoute ce flot d'émotions que je n'ai pas su mettre à distance.
« Ça n'est pas évident, mais il ne faut pas vous projeter dans ces vies qui ne sont pas les vôtres. » Je lui parle de ma crainte d'affronter ce procès qui s'annonce très médiatisé, et pour lequel la charge émotionnelle de la famille endeuillée, des collègues policiers touchés dans leur profession et des familles des accusés emplira toute la salle. « Vous endosserez symboliquement votre costume de jurée qui ne cherche que la vérité sans s'approprier cette triste histoire. Il faudra visualiser une cloche en verre qui vous protège. » Facile à dire... « On ne vous avait pas avertie de mener une vie monacale le temps des procès ? Le secret est de se coucher tôt, manger sain, s'aérer l'esprit mais ne pas se surcharger d'impératifs. » Donc, occuper mon week-end d'investissements associatifs et aller au sport le soir, ça n'était pas une bonne idée... « Et arrêter soudainement le sucre, ça ne vous a pas aidée à gérer, c'est certain. Sans dire de vous goinfrer, quand même, ne mettez pas votre organisme à l'épreuve du manque dans ce moment de tension. » Je suis rentrée chez moi avec un programme de préparation pour lundi : dormir, me changer les idées, visualiser ma posture de jurée et acheter du chocolat noir aux amandes...
Comment faire abstraction quand les articles de presse et les reportages télé annonçent le procès et les enjeux qu'il représente : la guérilla des narcotrafiquants, la montée de la délinquance ? Des sujets fertiles pour les tensions sociales. Le monde de la police m'est inconnu, un peu moins celui des cités. L'accusé vient d'un quartier où j'ai enseigné et je me souviens de la colère rapide à monter, des situations qui dérapent vite. Un nœud a bloqué ma gorge tout le week-end.
Nous sommes dimanche soir, je me couche tôt, mon sac est prêt, je visualise tant que possible ma posture de jurée et la cloche qui me protège. Je visualise encore et encore, mais chaque fois des images surgissent : les proches inconsolables, les accusés tendus, la presse envahissante, les avocats prêts à en découdre, tous, les yeux tournés vers le jury qui va sceller le sort des prévenus. Impossible de trouver un sommeil calme. Que je dorme ou pas, demain va arriver dans quelques heures...
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