Celle qui se rêvait d’autres vies / Celui qui se rêvait Tarantino
La rue des Teinturiers est la rue pittoresque de la ville : une étroite calade qui serpente, une sorgue fraîche qui coule le long des façades et passe sous des roues à aubes, des boutiques alternatives et des théâtres saisonniers qui patientent à l’ombre de la rangée de platanes. Ce midi, les nombreuses petites tables de bistro engorgent le passage déjà encombré de files d’attente formées devant les salles de spectacles. L’ambiance y reste pourtant détendue : les vacances ont officiellement commencé, le monde du spectacle est rassuré par le résultat des élections, beaucoup de troupes font relâche aujourd’hui. Je me faufile entre les uns et les autres pour rejoindre l’émission. Une accordéoniste entonne la Vie en Rose d’Edith Piaf, de nouveaux arrivants traînent leur valise sur les pavés, des comédiens déguisés en lapin et en fleurs attirent l’attention.
Celle qui se rêvait d’autres vies
Alors que j’écoute les interviews assise sur le banc face au studio d’enregistrement public, une grande femme en robe fleurie et colorée me demande gentiment s’il me reste une place dans mon emploi du temps pour venir la voir jouer une jolie histoire. Elle interprète une jeune fleuriste mal dans sa peau que la société n'aide pas à s’aimer. Sa tenue et ses grands yeux pétillants m’inspirent la sympathie, sa douceur et sa gentillesse me donnent envie de discuter quelques minutes avec elle.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« Je pourrais dire depuis toujours. De toute petite, j’ai adoré jouer d’autres vies que la mienne. Je trouvais ça génial d’être d’autres que moi-même. Mes parents m’ont inscrite à des ateliers de théâtre et depuis je n’ai jamais arrêté. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
« Ça a mis du temps. J’ai fait beaucoup de projets, participé à de nombreux spectacles, mais la sensation d’aboutissement est arrivée cette année avec ce spectacle que j’ai écrit et mis en scène moi-même. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Ma metteuse en scène m’a beaucoup aidée dans ce projet personnel. En m’encourageant à assumer et exprimer mes convictions, elle m’a permis de me sentir légitime avec ma pièce. Dans le monde du théâtre, finalement, il y a de la place pour tout le monde, chacun avec sa personnalité, son profil, sa sensibilité. On s’enrichit tous ! »
L’émission radio se termine avec un comédien en costume trois pièces à l’humour grinçant et un paisible joueur de musique orientale. L’un fait le point avec sa programmatrice un long moment et l’autre file à un rendez-vous. Je retourne sur mes pas, évitant livreurs et cyclistes au klaxon frénétique.
Celui qui se rêvait Tarantino
À l’ombre d’une belle maison de ville, le jeune homme se tient discret et observateur, ciblant les festivaliers et laissant passer les travailleurs marchant vers leur pause repas. Il porte sur son t-shirt sa propre publicité : L’Étranger de Camus, un classique. J’imagine qu’il doit être le fruit d’un parcours classique : étude de lettres et conservatoire…
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Je voulais être réalisateur au départ. C’est Pulp Fiction qui m’en a donné envie ! J’étais habitué à regarder de grandes productions américaines avec mon père (Stallone et compagnie) et ce film qui ne raconte pas grand-chose en soi m’avait pourtant décoiffé. C’est ce que je voulais faire : filmer des histoires qui bousculent. J’ai suivi une fac de géographie, mais je n’ai jamais vraiment perdu ce rêve des yeux. Après mon master et le concours d’enseignement, j’ai annoncé à mes parents que je tentais les concours d’école de théâtre à Paris. Ils n’ont pas compris pourquoi ni comment j’en étais arrivé à cette décision. Moi, je me disais qu’il fallait savoir être comédien pour mieux diriger des acteurs. J’ai eu la chance d’être repéré par Pierre Olivier Scotto. Il avait bien compris que j’avais tout à apprendre, mais il était persuadé que j’avais du potentiel. Et finalement, cette formation de comédien m’a plus convenu que la mise en scène. J’ai donc choisi de persister dans cette voie. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« Au fur et à mesure du cursus, en appliquant les conseils des professionnels, je me suis senti de plus en plus à l’aise sur scène, jusqu’à m’y sentir bien ! L’attestation d’intermittence a officialisé ce que je me disais : je suis comédien. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Mes parents m’ont soutenu même s’ils ont mis du temps à comprendre mon choix. Mais je dirais que Pierre Olivier Scotto m’a réellement ouvert la porte du monde du théâtre en croyant en moi. Je suis arrivé déjà adulte, brut de décoffrage, sans expérience, et il m’a donné ma chance ! »
Comme quoi, il n'y a pas besoin de tomber dans la marmite pour trouver sa place sur scène !
Terrasses bondées, files d’attente gonflées, serveurs affairés, la rue des Teinturiers est difficilement traversable. Des tracteurs allongés au sol tenant leur paquet de tracts à bout de bras vers le ciel n’ont pas peur de se faire écraser ou de prendre un coup de chaud ! C’est un peu ça visiblement le festival : tout peut devenir mise en scène, l’audace et la blague n’ont parfois plus vraiment de frontière reconnaissable. Plus rien n’étonne personne !