Comment, pourquoi ont-ils choisi de vivre du théâtre?
De retour dans les remparts de la ville, parmi les troupes costumées et bruyantes, les tracteurs beaux-parleurs et les festivaliers endimanchés, au cœur de ce tumulte festif, je pars à nouveau à la rencontre des comédiens et comédiennes du festival.
Cette année, je participe à l'accueil des artistes invités à présenter leur spectacle, en direct, au studio plein air de la radio RCF Vaucluse pour la quotidienne Les Midi du Festival. Les cloches sonnant l’Angelus ouvrent chaque émission et attestent du direct. Hors plateau, je demande aux invités du moment de me raconter ce moment précis où ils ont choisi la scène pour métier, avec toutes les incertitudes que cette carrière implique. Vais-je entendre des anecdotes surprenantes, touchantes, instructives ? Je vous partage quelques-unes de ces premières rencontres de la semaine d’ouverture, des parcours tous différents et pourtant tous animés par la même motivation dévorante. Après la quarantaine de rencontres réalisées pendant le Festival 2024, je ne pensais pas débuter cette saison avec une rencontre si surprenante, celle du premier invité de l’émission !
Mehdi, ou le choix du bien
Assis près du producteur de l'émission, l’invité répondait aux questions avec un sourire et un regard chaleureux qui vous font sentir accueilli et écouté avec sincérité. Après dix minutes d'échanges, il remit son sac sur le dos et chercha des yeux la suite de son chemin avant de croiser le mien. L'homme accepta de répondre à ma curiosité et me raconta sa passion des livres, des histoires, des romans, de la langue depuis ses années d'écoles. L'envie de leur donner vie, la découverte du cinéma et du théâtre auraient pu tracer une voie royale vers un conservatoire, un cours ou une école de théâtre, mais il découvrit son talent de jeu loin des rideaux rouges. De mauvaises fréquentations conjuguées à l'ambition de vite gagner sa vie le menèrent à réaliser des arnaques aux banques à base d'usurpation d'identité ! Il n’en parla pas avec fierté, loin de là. Jouer différents personnages était devenu son quotidien jusqu'à ce que l'envie de noblesse et la soif d'art lui firent pousser les portes d'un conservatoire puis d'une école nationale. Depuis, son envie d'incarner des personnages imaginés par des auteurs et des metteurs en scène ne l'a jamais quitté, celle d'écrire ses propres textes est venue compléter son parcours. Son spectacle le plus personnel, Coming Out, lui a ouvert la porte des Molières pour une nomination, prouvant la palette de talents de ce jeune comédien repenti.
Pour jouer au service d'une pièce bien écrite ou pour partager ses questionnements sur des sujets sociétaux, dans son esprit comme dans son cœur, sa place est sur scène. C'est sa conviction et si, parfois, le doute vient à tiédir son feu intérieur, il se rappelle aussitôt que pendant ce temps, d'autres continuent d'avancer.
Mehdi Djaaji, Couleur Framboise, La Scalla, 19h10,
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Anna, ou les larmes de crocodiles
Alors que je surveillais l'arrivée des invités inscrit sur ma liste, une jeune femme au sourire solaire s'asseya sur le banc face au studio et se mit à fouiller dans son totebag. De long cheveux frisés, un haut en crochet de coton violet et une allure sportive, elle se leva d'un bond et s'enthousiasma à me partager son spectacle musical écrit sur fond d'amitié et de quête initiatique. C'est en riant qu'elle me raconta le jour où le théâtre devint son évidence, un souvenir clair de cette scène de jeu entre copines. Du haut de ses onze ans, entourée d'amies, elle passait l'après-midi à trimballer sa géante poupée au rythme de l'histoire improvisée. Dans le rôle de la jeune fille dévouée, elle. Dans le rôle de la mère mourante, la poupée. La scène cruciale du dernier souffle, ses larmes qui coulaient à flots et les sanglots dans sa voix, suspendit les amies spectatrices au monologue d'Anna. Toutes, stupéfaites, l'applaudirent, la complimentèrent et lui conseillèrent de devenir comédienne. Dès lors, cette idée ne quitta plus son esprit, et toute son énergie fut consacrée à la réaliser ! Conservatoire, école, études de théâtre, la passion l'emporta toujours sur les moments difficiles et sur sa timidité aujourd’hui disparue. Plus qu'un métier, c'est une vie quotidienne tournée vers la scène qui anime chaque heure de ses journées. Le théâtre est resté une évidence.
Laissez mon Cheval Libre, il sait où aller ! Théâtre le Grand Pavois, 10h10
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Léa et Clara, ou la détermination à se faire une place
Veiller à l'arrivée et à l'installation des invités, au milieu d'une place très passante demande un sens de l'observation. Ces deux comédiennes-là m'ont facilité la tâche, elles tenaient le panneau de leur spectacle à bout de bras tout en venant vers nous.
Toutes deux jeunes et pétillantes révélèrent pourtant rapidement deux personnalités complémentaires et partagèrent deux parcours nourris d'une dose de confiance et d’encouragements différente.
Clara avait pour elle la détermination et l'éloquence. Elle expliqua avec enthousiasme et aisance leur spectacle reprenant l'Ilyade par le prisme des femmes du récit mythologique. Cette détermination à prouver la valeur de leur travail est le même moteur qui anima sa décision de vivre de la scène, depuis ses plus jeunes années. Pourtant, elle suivit sagement cinq années d'université de droit et se vit proposer un CDI de juriste de droit des affaires. N’écoutant que sa conviction d’être faite pour le théâtre, elle préféra se battre pour réaliser son rêve et renonça à ce contrat financièrement prometteur. Si certains parents seraient tombés de leur chaise, les siens la soutinrent dans son choix. Elle avance aujourd'hui, fière du résultat de son parcours. Elle témoigne de l'importance de croire en soi, en ses capacités à évoluer, à son travail qui finira par porter ses fruits.
Léa, attentive et douce, sourit et annonça que ce ne fut pas la même histoire pour elle. Son déclic se fit devant l'écran géant d'un cinéma qui projetait Tout ce qui brille. Cette perspective de carrière artistique n'enchanta pas ses parents. Quelques jours sur les bancs de la fac de médecine lui confirmèrent que sa vie l'appelait ailleurs... en psychologie, dans un premier temps. La licence en poche, elle décida de prendre son envol et d'expérimenter ses capacités de jeu de l'autre côté de l'Atlantique, à Montréal. C'est une école de théâtre parisienne qui lui apporta des bases solides pour aujourd'hui monter fièrement sur scène. De ce parcours plus solitaire que celui de sa comparse, elle retient la nécessité de travailler sa confiance en soi, de s'entourer de personnes bienveillantes et professionnelles et d'avancer en se nourrissant de sa passion pour le théâtre.
Les deux rirent de leur diplôme universitaire, mais à les observer, chacune en a gardé une trace, la prestance et l’éloquence pour l’une, l’écoute attentive et la douceur pour l’autre. « C’est vrai qu’avec ta connaissance du droit, tu nous as bien guidé pour la vie de la compagnie ! », « Et toi, tu as une fine analyse des émotions et des personnages ! » Je ne suis pas certaine qu’elles aient perdu du temps sur les bancs de la faculté.
Hubris, théâtre de l'Adresse, 15h45
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La suite dans le prochain article...
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