Quand mettre un pantalon était interdit à la gente féminine (Alpes, début XX°siècle et années 1970)
Mme L. est née dans les Alpes, après la guerre et après ses trois frères. Ses parents sont de la génération de ceux qui pouvaient espérer sortir de leur condition en étant bons élèves, une voie pour se faire recruter par l’Éducation Nationale. En retour, le ministère comptait sur eux pour instruire et tirer vers le haut le « petit peuple » français dont ils étaient issus. Cultivant l'ambition de former des représentants de l'Etat fortement instruits et modélisants, ses recrues étaient vivement invitées, voire conditionnées, à se marier entre elles. Les parents de Mme L. s'étaient ainsi rencontrés lors de promenades en ville, par une connaissance commune, elle aussi en formation à l'Ecole Normale.
Avoir ses parents comme enseignants, ça n'a pas été pas tous les jours sympathique mais cela permettait d'avoir une qualité de vie dont la plupart des familles paysannes du village n'osaient rêver. Logés, plutôt bien payés, instruits et curieux, ses parents avaient la chance de s'offrir quelques équipements modernes et quelques semaines de vacances chaque été. Sa famille, seule propriétaire d'une voiture, logeait dans une école de deux classes entourée de champs et d'une dizaine de fermes éparpillées où les adultes et les enfants n'arrêtaient jamais de veiller sur leurs cultures ou leur élevage. Et pourtant point de jalousie, puisqu'à défaut de magasin, les instituteurs faisaient leurs courses chez leurs voisins producteurs et rendaient bien des services aux familles...
Mme L., quant à elle, savourait la joie de grandir au milieu des champs, cadeau d'heures de liberté, de jeux et d'amitiés insouciantes.
Une famille somme toute assez privilégiée mais à la vie simple, réglée comme du papier à musique... une biographie sans goût ni saveur ? Certainement pas ! Le décalage culturel entre ses parents hautement instruits et les familles de leurs élèves créa quelques scènes cocasses. Le témoignage d'une vie montagnarde et rurale, rude et simple, au milieu du XXème siècle met aussi en lumière l'évolution rapide de la société. Qui aujourd'hui marcherait vingt kilomètres pour aller au marché ou rendre visite à sa famille ? La grand-mère de Mme L., déjà bien âgée, le faisait sans soucis et très régulièrement, parfois même de nuit ! Ceux qui n'avaient jamais eu de voiture, avaient au moins une santé de fer !
Hauts les pantalons ! ( Hautes-Alpes - 1920 / 1960)
Retraçant son parcours professionnel, Mme L. me racontait avoir quitté son poste de secrétaire de l’Inspection de l’Éducation Nationale pour un poste au lycée de la ville en ressentant la satisfaction de laisser derrière elle une nouvelle habitude. Aujourd’hui, celle-ci peut paraître bien banale mais à l'époque, elle était transgressive. Peu savent sans doute que le code du travail de l’Éducation Nationale interdit, encore aujourd’hui paraît-il, au personnel féminin de porter autre chose qu'une jupe qui cache au minimum les genoux. Et quand Mme L. travaillait à l'inspection, cette règle prévalait concrètement. Mais un jour qu'elle trouva les journées d'hiver bien trop froides pour porter une jupe, elle osa mettre un pantalon pour se rendre au bureau. Prête à entendre des remarques voire des remontrances, elle fut bien étonnée que personne ne releva son écart de bienséance. Et un jour glacial après l'autre, d'autres collègues féminines osèrent venir travailler, comme elle, en habit d'homme. Le jour de son départ, c'était devenu une habitude.
Elle n'avait pu s'empêcher de penser à sa tante qui en son début de siècle avait déjà provoqué un scandale au village pour un simple pantalon. Comment avait-elle pu soulever l'indignation des bonnes âmes ? La jeune fille avait tout simplement trouvé plus pratique de mettre un pantalon pour randonner en montagne avec son frère. L'affaire eut vite fait le tour des commères qui en appelèrent au curé pour la faire revenir à la raison. Peu sensibles à la colère du prêtre en soutane, ni la jeune fille ni ses parents ne changèrent d'opinion sur la praticité du pantalon pour la marche en montagne ! Comme quoi l'évolution des mœurs ne trouve pas ses grâces chez les personnes bien rangées...
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