Être une fille de bonne famille mais vivre comme une jeune femme autonome, voilà comment elle avait choisi sa vie. Avec ses vingt ans passés, elle aurait pu chercher un mari argenté pour l'entretenir mais elle avait préféré s'assumer et attendre le vrai prince charmant en menant son quotidien selon ses envies. L'indépendance, la liberté, la belle vie. Elle appréciait son nouveau travail dans un pensionnat au fin fond de la France, son minuscule appartement au-dessus d'un garage, tous ces chemins de randonnée alentour et sa petite 2CV pour rejoindre la grande ville.
Elle avait fait un choix de vie peu conventionnel pour la société du moment qui gardait un œil vigilant sur ces femmes préférant les affres de la solitude à la protection d'un mariage. Elles étaient louches... D'autant plus qu'elle, elle vivait dans un village qui ne la connaissait pas.
Après quelques mois d'installation et voyant arriver l'hiver rigoureux, la jeune femme se décida à chercher un autre logement. Le courant d'air qui passait par les brèches de ses murs laissait présager un froid difficilement supportable malgré son petit poêle à bois. Quitter son travail pour l'alimenter en permanence et garantir une température ambiante acceptable lui était inenvisageable.
Appréciée par sa directrice, entourée d'amies, ne présentant aucun conflit avec qui que ce soit, tous les refus de location qu'elle essuyait lui semblèrent étranges. Les quelques appartements libres trouvaient preneur aussitôt qu'elle les visitait. Ce n'était pourtant pas un village très passant...
Ne se déparant jamais de sa combativité ni de sa bonne humeur, elle raconta ses mésaventures à ses collègues de travail. La réponse arriva par une inconnue. Une dame de service passant par là lui lança, le menton en l'air et le regard plein de défi :
« Vous n'avez pas idée de ce que l'on dit de vous par ici ? »
Voilà une question qui n'augurait pas une jolie réponse. Néanmoins, elle ne voyait aucun fait qui puisse lui valoir une mauvaise image.
« Ah, l'on dit des choses à mon propos ? Et bien non, je n'en ai pas la moindre idée ! »
Non, effectivement, elle n'a jamais été de celles à se laisser impressionner.
« Vous en êtes sûre ? »
La dame savourait ce bout de réponse qu'elle détenait.
« Même en prenant le temps d'y réfléchir, je ne vois pas. Dites-moi donc, s'il vous plait ! »
La politesse restait l'apanage de sa dignité.
« On ne veut pas bien des femmes comme vous par ici! »
La dignité appelait la patience...
« Comme moi ? »
La tension sembla assez pesante pour que le secret puisse enfin être révélé, avec son petit effet de surprise désagréable.
« Nous savons tous ce qu'il y a dans le coffre de votre voiture ! Les femmes aux mœurs légères, on n'en veut pas ! »
Dans la seconde, elle comprit et éclata de rire ! Tout ça pour ça ?
La femme de service tourna les talons, renfrognée mais toujours décidée à protéger la réputation de son village.
Notre héroïne rejoignit dans la foulée le bureau de sa directrice qui l'attendait pour une réunion. Le sourire aux lèvres, toujours amusée de la situation, notre jeune femme dut expliquer la raison de ce sourire hilare. L'aventure racontée en quelques mots contraria vivement la directrice. Furieuse, elle convoqua la divulgatrice sommée de ne pas s'abaisser à répandre des rumeurs puis elle appela le maire (un membre de sa famille) pour faire cesser ce commérage. « Il ne sera pas dit qu'une fille de joie travaille pour moi ! C'est une jeune fille de valeur, je m'en porte garante, que ce soit dit ! »
Pourquoi tout ce grabuge ?
A cause d'un garagiste trop bavard qui trouva dans le coffre de la demoiselle un équipement suspect : un duvet, un nécessaire de rafraîchissement, et quelques objets de maquillage. Cette panoplie qu'il avait imaginé lui servir pour des rendez-vous tarifés, lui servait en réalité pour ses sorties hebdomadaires au cinéma. Devant se rendre à plus d'une heure de route, à la ville, elle préférait dormir tous les mardis chez une amie pour s'éviter les petites routes au milieu de la nuit et revenir fraîche au travail le lendemain matin !
Le qu'en dira t-on suspicieux avait eu une imagination mal placée que le bouche à oreille transporta comme une trainée de poudre !
Il lui en fallait plus pour se sentir humiliée. Elle continua à fréquenter les commerces et villageois avec le même sourire, le même regard franc, et peut-être une étincelle de malice supplémentaire. Un nouveau logement confortable l'accueillit sur l'autre rive du fleuve, dans l'annexe d'un couple de retraités qui la choyèrent comme leur petite-fille.
Cette aventure lui fit perdre peut-être un peu de naïveté, lui fit gagner la chaleur d'une amitié sincère mais jamais, elle ne se sentit perdre une once de dignité !
Il faut parfois une sacrée dose de caractère pour mener sa vie comme on l'entend quand la société attend autre chose de nous...
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