Les enfants d'après-guerre se souviennent assez bien des pénuries et de la pauvreté quand leurs parents espéraient une reconstruction rapide du pays. Mais avant tout, cette génération née à la Libération garde une grande nostalgie de leur adolescence. Et pourtant...
Être jeune au début des années 1960, c'est avoir pour activité extra-scolaires le patronage (rendez-vous ludique autour du prêtre), le scoutisme, les groupes folkloriques ou les travaux des champs. Pour communiquer avec ses amis, on écrivait des courriers ou on allait toquer à la porte. Peu de personnes roulaient en voiture, les familles ne vadrouillaient pas bien loin pour se distraire. Les jeunes filles, quant à elles, portaient l'honneur de leur famille, leur liberté souvent empêchée par leurs proches et tout le village qui surveillaient de très près leurs fréquentations.
Mais alors, de quoi peuvent-ils bien restés nostalgiques?
La paix installée ? Le niveau de vie amélioré ? La modernisation du quotidien ? Tout semblait devenir plus facile, certes, mais eux me parlent surtout de liberté, d'amitié et de simplicité.
Le peu offrait alors une grande place au beaucoup.
Peu d'activités proposées offraient de grandes plages de temps libres pour retrouver ses amis, tous disponibles. Dès lors la semaine de camp devenait une grande aventure, la fête du village, le grand événement de l'année, et le jour de marché, la parade des jeunes gens en âge de séduire.
Peu de moyens de communication invitaient à souvent sortir pour discuter avec son voisin, le soir dans la rue commune, avec les copains près du vendeur de bonbons ou autour d'un ballon.
Peu de voitures laissaient libres les routes et les chemins pour les grandes escapades en bande vers les rivières, les grottes secrètes et les ruines hantées.
Peu de liberté pour les jeunes filles donnait un goût exceptionnel aux rendez-vous secrets, aux baisers échangés en cachette dans le tunnel du train bleu, seul endroit à l'abri des nombreux gardiens des bonnes mœurs. La séduction et la confiance prenaient du temps et les relations avaient un relent d'interdit excitant.
Tout n'était pas rose pour autant, il ne faut pas se leurrer, chaque génération connaît ses difficultés et ses injustices.
Mais la remarque d'une de mes raconteuses m'est restée : « Quand je vois mes petits-enfants, ils ont tout ou presque, en tous cas bien plus que nous au même âge. Tout est presque possible pour eux, tous les choix, les destinations, les expériences. Et pourtant, ils ont du mal à être heureux. Nous on avait pas grand chose mais qu'est-ce qu'on était heureux ! »
Est-ce là la voix de la sagesse ou la nostalgie qui ne garde que le meilleur de nos souvenirs ? Les deux à la fois sans doute...