2ème semaine
Shannen ou le théâtre au service des questions sociales
Deux jeunes tracteuses plaisantent au soleil pendant que les festivaliers remplissent les terrasses des restaurants. Elles plaisantent, mais l’une d’elle garde un œil vigilant sur les passants qui pourraient l’écouter. Nos regards se croisent, elle sourit et me tend son tract coloré. Je l’écoute me dérouler sa présentation. Le titre est d’actualité, Genre !, et sa présentation utilise un vocabulaire pointu. Cette pièce est une œuvre pédagogique et interactive, support d’ateliers scolaires. Nous discutons de l’expérience avec le public du festival qui mêle tant d’âges et d’origines. Son aisance à en parler et les retours positifs après quelques jours de représentations démontrent un travail pensé pour tisser du lien. Si elle a le sentiment d’avoir toujours aimé la scène, elle a réalisé la puissance du jeu lors de ses études supérieurs, lorsqu’une œuvre l’a bouleversée. Cette expérience a déclenché en elle cette envie de participer à des œuvres qui marquent les spectateurs, les transportent, les font réfléchir.
Genre! Théâtre des Carmes, 13h30
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Tobias ou le sauvetage d’une professeure de Lettres
Une longue chevelure rousse et bouclée, une chemise large et claire, des bagues aux doigts, l’allure de ce comédien attire mon regard. Un pirate ? Un artiste peintre ? Dans quel univers ce jeune homme propose-t-il de nous embarquer ? Tout est annoncé dans ses reflets roux, il joue La Chevelure de Maupassant, une nouvelle poétique dans laquelle une mèche de cheveux découverte par hasard mène le personnage principal dans la folie. Avignon est effectivement l’occasion de découvrir les œuvres classiques que nous n’avons pas eu le temps ou la maturité de lire !
Terminant sa présentation en nommant sa jeune compagnie, Toujours Partir de Rien, Tobias m’ouvre la porte de son parcours personnel. « Rien », à écouter ses enseignants et ses camarades de classe, il était celui qui ne réussirait jamais rien. Sa dyslexie handicapante l’avait cantonné à une minuscule place au sein de l’école. Son exutoire pour exister, il le trouva hors de la classe, sur la scène d’un atelier de théâtre. Là, son talent d’expression, son aisance de jeu et sa joie de réussir un projet lui révélèrent une image plaisante de lui-même que peu de personnes n’avaient su percevoir. Comédien habituel du spectacle de fin d’année du collège, sa professeure de Lettres de 3ème l’a encouragé à persister dans cette voie, l’a soutenu au cœur d’une année moralement difficile, l’a conseillé pour entamer son parcours de comédien. Il évoque cette enseignante avec un flot d’émotion contenue, la gratitude sincère des gens à qui l’on a tendu la main au cœur de la tempête. Certes, le chemin n’a pas été bordé de fleurs, il a connu les galères, néanmoins le sentiment de liberté et d’épanouissement nourissent beaucoup plus sa vie que la frustration d’affronter quelques obstacles. La scène est devenue le moteur de sa vie, son essentiel. La scène est devenue plus qu’un métier, une vocation à laquelle il ne saurait plus renoncer.
La chevelure, Théatre de l'ange 21h35
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Aucun des comédiens et comédiennes rencontrés par le hasard de nos déambulations ne parle de leur vie d’artiste comme d’un simple métier. S’ils s’agacent ou rient de s’entendre qualifier de saltimbanques rêveurs, ils revendiquent leur statut professionnel justifié par une activité quotidienne de répétions, créations, démarchages, gestions, communications, recherches de fonds. Ils n’ont pas de pointeuses, pas d’horaires de bureau, pas de bureau même, toutefois ils ne comptent pas leurs temps ni leur énergie pour rendre leurs projets viables, pour financer leur troupe, pour maintenir leur projet, pour garder le spectacle vivant en vie. L’un d’eux m’a confié avoir investi dix ans d’économie pour financer ces trois semaines coûteuses, un autre m’a confié en souriant une anecdote. L’une des comédiennes de sa troupe a embarqué dans l’aventure du festival, pour les premiers jours d’installation, son petit ami au travail conventionnel bien installé et fructueux. Il pensait venir un peu aider cette bande d’amis « artistes bohèmes » sympas mais un peu fumistes sur les bords, et profiter de quelques jours de vacances dans la ville touristique. Il est reparti harassé et stupéfait de l’implication que l’heure de scène quotidienne leur demande chaque jour, entre gestion d’imprévus, installation et désinstallation de décors, tractage intensif, recherche de visibilité… Les chaises longues ne sont occupées que le soir, au moment de reposer les pieds et les esprits fatigués de leur longue journée ! Avignon est une parenthèse festive pour la ville et une parenthèse intense pour les comédiens !