En entretien, les raconteurs imaginent souvent que je connais leur univers. Vient alors l'expression en patois, ou l'évocation d'une fête locale ou le nom d'un objet inconnu. Il me faut alors m'en faire éclaircir la signification.
Une sorte d'étonnement éclaire soudainement leur regard et la question tombe : « Mais vous êtes d'où ? »
Je n'avais jamais réalisé la complexité de cette question, jusqu'à la semaine passée où la sentence tomba comme un reproche : « Vous n'êtes pas d'ici, alors ! »
« Mais vous êtes d'où ? »
Que répondre ?
Parle t-on du lieu de naissance ?
Je ne pense pas que naître à Paris fasse de moi une Parisienne. Mon petit mois de vie là-bas ne me donne pas cette étiquette ni aux yeux des Parisiens, ni aux miens.
Parle t-on alors du décor de l'enfance?
Onze années aux portes de Bordeaux ne font pas de moi une Bordelaise ni pour les Bordelais, ni pour moi. Les souvenirs, faute de fréquentation, s'effacent…
Parle t-on donc finalement du lieu où j'aurais passé le plus de temps dans ma vie, du lieu où j'ai posé mes valises ?
Arrivée il y a trente et un ans dans un petit village de Provence, avec mes jolis « o » fermés qui chantaient le Sud-Ouest, mes « s « qui résonnaient à la fin de « moins », et mes nuances délicates de « é » et de « è », je fus vite cataloguée comme une « pas d'ici ».
Vadrouillant le temps des études, j'y ai au final vécu vingt-deux ans, y revenant faire grandir mes enfants. Et pourtant, je ne suis toujours « pas vraiment d'ici »…
Parle t-on alors des origines familiales ?
D'au plus loin qu'on peut remonter (XVII° siècle quand même) des générations de Hauts-Alpins fleurissent sur mes deux branches.
Et pourtant, même en y passant tous mes étés, deux années d'études, et des week-ends réguliers, je ne suis « pas vraiment d'ici » non plus.
Résonne alors la discussion avec Paul qui m'expliqua que le mariage de ses parents avait été un scandale, puisque son père était un étranger de la ville d'à côté. J'étais abasourdie. « Pour être heureux, marie toi dans ton village ! » Je n'avais jamais entendu ce proverbe. « Ben oui Florence, marie toi avec un gars dont tout le monde connaît les parents, les grands-parents, l'histoire de famille… Les gens seront bien moins méfiants ! » Ah bon ? L'étranger est suspect, il a dans ses valises de vilaines histoires... Sinon pourquoi serait-il parti de chez lui, si tout allait bien pour lui ?
Ma foi, les études, la pauvreté, la violence familiale, l'envie d'ouvrir son esprit à la richesse du monde, de découvrir d'autres univers… Il y a tant de raisons pour quitter sa famille.
Alors que répondre… ?
« Je suis de nulle part », dis-je le plus souvent en esquissant mon parcours.
Au cours de cette même semaine de questionnement, une nouvelle raconteuse à commencer par s'excuser de ne pas avoir grand-chose à raconter, parce qu'elle était de nulle part, la faute à un père qui allait d'un emploi à l'autre.
Ne pas avoir de racines empêcherait-il d'avoir une histoire ?
Si je n'appartiens à aucune culture pleinement, je peux pourtant dire que ce chemin ne m'a pas laissé vide de richesses.
J'aime la pluie, l'odeur des forêts de pin, des ceps et les chocolatines de mon enfance.
J'aime la luminosité, les mas en pierre, l'humour et la bonne humeur, de ma vie d'ici.
J'aime plus que ça, la solidité éternelle des montagnes, leurs couleurs au fil des saisons, l'odeur de la terre chauffée par le soleil d'été mouillée par un orage de chaleur, le chant des grillons et la simplicité franche des Hauts-Alpins.
Alors que répondre… ?
De mon côté, je me suis trouvée une réponse poétique.
Tramontane, Mistral et Bise, voilà mes trois compagnons de route.
Le souffle de la liberté.
Je suis la fille du vent.