" Tu sais, un jour, j'ai vraiment flippé! "
Un jour d'automne, au milieu des années 1980
Encore une journée de sa vie rêvée. Une vie proche de ce qu'elle avait imaginée le jour de son mariage. Elle, son mari, un bébé dans une vieille maison à restaurer, entourée de champs et de bosquets, un peu à l’extérieur du village. Elle y était, dans cette maison aux vieilles pierres, aux portes qui grincent et aux tapisseries démodées, cette maison qui peu à peu leur ressemblera. Chaque jour est un peu le même que celui de la veille : ménage, course, promenade en landau, repas, pleurs et... sieste !
Oui, la vaisselle est faite, la table nettoyée, et bébé est couché sagement, comme bien souvent. Il dormira au moins une heure et demie, c'est un bébé adorable et facile. Devenir mère n'a pas été aussi facile qu'on lui avait laissé croire mais les semaines passant, le rythme et les gestes quotidiens ont trouvé leur routine.
Elle s'allume la traditionnelle cigarette qui inaugure ce moment de pause qu'elle s'octroie. Cette vie rêvée est l'aime, mais la routine et la fatigue sont parfois un peu lassantes. Ces premiers mois de bébé seront si vite passés qu'elle a décidé d'en profiter. Cependant, elle ne rechigne pas à goûter ces minutes de calme.
Le poêle à bois ronronne, le canapé face à la porte-fenêtre lui permet de se régaler de son paysage d'automne : un grand jardin, un champ, des arbres dansant sous le vent qui chasse les nuages et font tomber les feuilles rougeoyantes.
Elle allume la télé pour s'offrir un téléfilm, l'occasion de reposer le cerveau et entretenir les bons sentiments.Ses gros chaussons, son gros pull, son café chaud, la voilà prête à s'évader dans une jolie histoire.
La bande-son devient désagréable, un bourdonnement irrégulier gâche les dialogues. Elle change de chaîne, le bourdonnement reste le même. Elle éteint le son, le bourdonnement persiste. A bien écouter, c'est en fait un murmure de voix masculine, incompréhensible, une voix grave. Si la télé se met à dysfonctionner autant l'arrêter. Tout est maintenant éteint, seul le poêle à bois continue de doucement ronronner. Il faudra dire à son mari que la télévision commence à vraiment se faire trop vieille.
Le murmure grave revient.
D'où cela peut-il donc venir ? Une petite diode verte clignotant au rythme de la voix attire son attention. Le babyphone posé prêt de la télé, c'est lui qui diffuse cet étrange voix d'homme. Quelques secondes suffisent à imaginer le pire : il y a un homme dans la chambre du bébé ! Mais par où a t-il pu entrer ? Tout est fermé, portes et fenêtres, car c'est jour de vent. Personne n'est passé ni devant la maison, ni dans le champ. Serait-il arrivé par le bois dense qui protège l'arrière de la maison du vent et du bruit de la route ? La voix incompréhensible continue.
Le bébé ne pleure pas, ne gémit pas. Personne n'a pu entrer. Il ne reste qu'une autre possibilité : que ce soit un esprit. Mais ça, ça la fait rire. Quoique... Un intrus ou un esprit, elle ne sait ce qu'elle préfèrerait affronter.
Encore quelques secondes pour réfléchir à la meilleure réaction à adopter. Même tétanisée, son cerveau réfléchit vite. Si un homme parle dans la chambre du bébé, elle ne peut pas appeler son mari, elle ne doit pas se faire remarquer. Quand bien même, son mari est en vadrouille, le téléphone du bureau résonnera dans le vide. Elle ne peut pas non plus aller demander l'aide des voisins et laisser le bébé seul avec l'intrus. Crier au secours ? Ils sont trop à l'écart. Reste le rouleau à pâtisserie.
A pas de loup, le corps tendu comme un arc bandé, le cœur au bord de la rupture, elle avance vers la chambre et tourne tout doucement la poignée de la chambre. Elle prie pour que ce ne soit pas un golgoth qui l’assomme avec une simple gifle, ni un spectre fluorescent... La chambre est plongée dans la pénombre, bébé ronfle à petits souffles. Aucun bruit. Elle attend, un mouvement, un craquement, une silhouette. Elle attend immobile, les muscles douloureux, le souffle suspendu, le rouleau à pâtisserie prêt à tomber de tout son poids sur le premier être qui s'approche. Elle pousse la porte par petits coups de coude. Toujours personne, toujours aucun bruit. Il l'a sous doute entendue et se tapit derrière la porte. Si elle écrase la porte contre le mur, il sera au moins un peu bloqué. De toute sa force, elle donne un dernier grand coup de coude et tape la porte qui ne montre aucune résistance. Lumière du couloir allumée, inspection faite, non, personne n'est dans cette chambre hormis son bébé tranquillement endormi. Est-elle devenue folle ?
Dans le salon, le babyphone continue sa bande sonore terrifiante. C'est à n'y rien comprendre. Autant éteindre et penser à autre chose. Le reste de l'après-midi, tout de même, elle se sent sur le qui-vive. L'adrénaline ne se dissipe pas aussi vite qu'il est venu, le corps garde sa tension et l'esprit est bloqué sur l'incompréhension de cette scène.
Quand son mari rentre enfin, à la tombée de la nuit, elle ne lui laisse pas le temps de poser son manteau qu'elle lui raconte cette peur qui la tient depuis des heures. Ni intrus, ni spectre, heureusement. Mais cette voix, dans sa maison. Ça n'a pas de sens. Serait-elle devenue folle ?
A son grand étonnement, il éclate de rire : « Ne sais-tu pas que les baby-phone captent les ondes des cibies ? » … et de rajouter : « Un camion a dû faire sa pause sur le serre ... ! »
Tout ça... pour ça ? Vraiment ? C'est rassurant au fond, oui vraiment. Mais bon sang tout ce stress pour une discussion de chauffeurs?
« Ca fait quand même quelque chose ! » m'a t-elle dit pour conclure !
NB pour les plus jeunes: une cibie est une bande radio de haute fréquence de télécommunication souvent utilisée par les chauffeur de camion et autres amateurs.
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