Quand les cabinets étaient dans le jardin (Provence, milieu du XX° siècle)
" La crise de 1929 sonna le début d'années terribles, mon père a connu une longue période de chômage. Au début du XX° siècle, le mot chômage ne résonnait pas comme aujourd'hui. La Sécurité Sociale, l'accès gratuit aux soins, les allocations chômage ou familiales n'existaient pas. Ne pas avoir de travail engendrait une réelle pauvreté.
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Notre famille était objet de lazzis (moqueries). Pour les villageois, mon père était un chaud lapin, ma mère une femme trop docile, tous deux irresponsables, sans le sou pour assumer leur marmaille. Pas de travail pour papa mais dix enfants à nourrir, c'était la misère. Le bel héritage des grands-parents a été rapidement absorbé par les besoins de la famille nombreuse. Il n'en resta que notre toit, solide. La faim creusait notre ventre mais nous avions au moins un abri. Maman n'osait même plus sortir de la maison. Il est arrivé que notre famille manque tant qu'elle dût faire appel à la générosité des voisins. Mais tout le monde lui fermait la porte au nez. Tous sauf une voisine réputée pour ses mœurs légères. La générosité n'est pas affaire de réputation...
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Notre maison se situait à l'extrémité Est de la courte rue principale du village. Après nous, il n'y avait plus que les terres et au loin, parsemés, les autres lieux-dits du village
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Nous avions la chance d'avoir un grand jardin, lequel offrait à l'avant de la maison un magnifique point de vue sur les collines.
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L'étage se partageait en quatre chambres, une pour les grands-parents, une pour les parents, les deux autres pour les aînés. Nous, les petits derniers, nous étions dans un rajout construit à l'arrière de l'étage, au dessus de notre petit lavoir. J'y dormais avec mes deux frères les plus proches en âge, dans le même lit. Un lit de fortune fait de planches et d'une paillasse, un tas de feuilles de maïs séchées contenues dans un drap cousu. La paille de maïs avait l'avantage de rester aérée et de ne pas se tasser. Ça grattait un peu mais nous avions de bons draps de toile épaisse. La nuit, tenus par une envie pressante, nous calculions la solution la moins coûteuse. Notre cabanon de toilette dans la cour nous attendait mais il n'avait pas de lumière... Si nous étions assez courageux pour sortir, mais trop peureux pour aller dans le cabanon obscur, nous allions faire près de la maison ; si bien qu'il n'était pas rare de découvrir des traces de nos passages, le jour levé. Si la nuit était vraiment trop effrayante, il nous restait le pot de chambre rangé dans la table de nuit. Mais il faudrait le vider le lendemain matin. Les besoins de la nuit demandaient quelques courage ou choix stratégiques : affronter la nuit effrayante ou vider le pot de chambre au réveil !"
Avec le mistral de ce soir, personnellement, j'ai du mal à m'imaginer sortir la nuit en pyjama!
Image par Anja de Pixabay