2ème semaine
La deuxième semaine de ce festival 2025 s’est déroulée au rythme des chorales de cigales et des roues de valises sur les trottoirs. Familles, touristes et festivaliers organisés ont remplis les terrasses des restaurants et les rues devenues pour beaucoup piétonnières. Les affiches en décor envahissant, la valse des chapeaux de pailles et des totebags en coton, les défilés de costumes colorés et d’accessoires ingénieusement créatifs, les chansons résonnant dans les enceintes voyageuses, Avignon vit sa bulle enchantée annuelle, légère, joyeuse et festive.
1800 spectacles sont présentés pour tous les goûts et tous les publics, de la poésie magique pour les tous petits, du polar, du texte engagé, de la philosophie, du religieux à l’humour de comedy club, sans oublier les lectures de textes ni les spectacles musicaux, dansants ou acrobatiques. Ce sont autant de scènes de toutes tailles qui s’ouvrent dans les petites rues de la ville médiévale.
Les artistes rencontrés sont d’ici ou d’ailleurs, parfois de l’étranger, ils partagent avec plaisir leur passion de la scène, du texte et de l’émotion. Ils sont heureux de voir un micro. Chaque chance d’être vu et entendu est accueillie avec le sourire, car, ils le confient, « faire Avignon est un sacré pari ». Entre location de salle, de logement, impression d’affiches et de tracts, la visibilité espérée demande un petit pactole qu’il faut se rembourser, alors ils ne comptent ni les kilomètres ni les heures à arpenter les rues tracts en main, déterminés à éveiller la curiosité des passants.
Chacun me l’a dit : « Être comédien, c’est au-delà d’un métier car notre esprit est toujours occupé à faire vivre la scène. »
Julien ou la nécessité d’être un vecteur d’émotions
Le jeune homme qui traverse la place porte un costume trois pièces, un peu désuet, façon XIXème siècle. Son port de tête altier rappelle un peu le majordome de Tintin. Me voilà en effet en présence du valet de Monsieur et Madame, les personnages principaux de Mais n’te promène donc pas toute nue !, une pièce joviale de Feydau. Julien ne quitte pas le personnage de Victor, même pour citer le jour de relâche comme un pause loin de ses patrons difficiles à supporter, jusqu’à cette question inattendue : « Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir comédien ? » Son regard s’est perdu dans les platanes, quelques secondes, avant de me regarder droit dans les yeux. Il ne se souvient pas avec précision d’un moment déclencheur mais d’une réflexion personnelle qu’il s’était faite déjà bien jeune. « Il n’y a pas plus beau métier que de provoquer de l’émotion chez l’autre », surtout quand celui-ci ne s’y attend pas. La scène ou l’écran sont, pour lui, le meilleur moyen d’y parvenir. Après quelques années à travailler le rire, le comique et l’humour, il explore désormais la palette de toutes les émotions qui animent le théâtre. Pour son premier Avignon, il goûte au plaisir de voir la salle pleine rire de bon cœur et les spectateurs sortir de bonne humeur. Il est fier d’avoir égayé leur journée. Julien réalise son rêve et ne compte pas s’arrêter là, ce n’est que le début de son chemin.
Mais n’te promène donc pas toute nue!,Salle Bayaf, 21h35
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Alessandra ou le plaisir des mots pour soigner les maux
Elle arrive au rendez-vous, comme promis, marchant d’un bon pas malgré ses hauts talons. Nous avions discuté la veille alors qu’elle courrait entre deux représentations, toujours sur ses hauts talons et avec un sourire rayonnant. Elle cherchait une adresse, nous avions rapidement sympathisé.
Nous nous asseyons sur le banc qui cercle le platane de la place pour soulager sa voûte plantaire très sollicitée. En quelques mots, elle me raconte cet auteur iranien réfugié en Allemagne, Alirezza Rôshan, dont elle lit les poèmes célébrant l’amour, accompagnée d’un air de musique italienne au piano. Quelques noms et citations d’écrivains, quelques réflexions sur l’humanité laissent transparaître une femme très cultivée et très humaine à la fois. Ces deux traits de personnalité expliquent ce parcours artistique : elle est écrivain, lectrice publique et animatrice d’atelier d’écriture. Ces deux traits de personnalité ont également nourri sa première vie professionnelle, quand elle était avocate. Quelque part, les deux rejoignent le même objectif : manier les mots pour soigner les maux et réparer. La femme de « paroles » en a constaté la puissance durant ses années de combat pour avoir un enfant. Les espoirs, les déceptions, les injustices, les renoncements auraient pu avoir raison de sa raison, l’écriture lui a permis de garder les pieds sur terre pour avancer. Ses textes rassemblés en un livre ont été remarqués et publiés, puis lus et recommandés et ainsi, de sollicitations en conférences, en ateliers et en lectures publiques, le choix de l’intermittence du spectacle s’est imposée comme une évidence, comme un besoin d’œuvrer à l’apaisement du monde.
Jusqu’à toi combien de poèmes ? Alessandra Blache et Pascal Pistone A l’incongru théâtre jusqu'au 19/07
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Laura ou la possibilité de la singularité
La jeune fille tracte en observant le visage des passants, attentive à leur curiosité, leur disponibilité. Elle me propose délicatement son tract au titre surprenant D’avoir pleuré à l’hypermarché. Quel drôle d’accroche ! Elle m’installe la situation de départ : un couple installé dans une société quasi parfaite. La découverte d’un courrier menaçant les questionne quant à leur adéquation aux règles implicites. L’homme qui a pleuré à l’hypermarché a-t-il contrevenu à l’une d’entre elles ? Le prix de la mise en scène que la compagnie a reçu leur augure un bon festival.
Quand vient mon tour de lui poser cette question qui agite ma curiosité, elle sourit car le souvenir est clair et précis. Son choix de carrière a été motivé par Catherine Deneuve. Je lui donnerais trente ans tout au plus, et pourtant, elle me cite les Demoiselles de Rochefort avec des étoiles dans les yeux, les mêmes étoiles qui ont brillé quand elle avait sept ans. Des cours de théâtre et des années de pratique lui révélèrent ses capacités à réaliser son rêve de petite fille, lui confirmant qu’elle ne saurait être ailleurs que sur scène. Aujourd’hui, comme professeure de théâtre, elle encourage les plus jeunes à prendre place dans le monde et sur la scène pour s’exprimer et revendiquer leur singularité.
D’avoir pleuré à l’hypermarché, Espace Saint Martial 19h15
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