Journal d'une expérience inattendue - Procès 4: procès meurtre sur dépositaire de l'autorité publique, jour 3
Mis à part quelques barrières de sécurité abandonnées sur le parking et la voiture au gyrophare allumé stationnée devant le portail, les abords du palais ont retrouvé une certaine normalité.
Rapidement, il est facile de noter que le couloir d'accès « public » improvisé est plus rempli ce matin. Comme hier et avant-hier, les familles et les avocats attendent en dehors de ce couloir, à gauche de la porte de la salle, les policiers discutent avec le gardien, à droite de la porte, et nous, le public, nous suivons le couloir central matérialisé par des sangles rouges tendues entre les ficus. L'espace d'attente des bancs en marbre reste de côté. On y trouve la presse, ainsi que d'autres policiers discutant autour de leur café. Il semblerait bien qu'ils soient venus plus nombreux. Notre groupe de « public », un peu plus étoffé aussi, est composé de retraités et d'étudiants. Je n'en reconnais pas vraiment, ils semblent sortis de nulle part. Les deux jours de procès passés ont suffi à remarquer que les étudiants ont l'habitude de rester observer une heure, parfois deux, avant de repartir à leurs occupations. Les retraités, eux, disposent de leur journée.
Protocolairement, quand les portes de la salle d'audience ouvrent, les gardiens invitent les familles et la presse, puis les policiers qui s'engouffrent sans suivre aucun couloir, et enfin notre sangle est ouverte. Le gardien, qui me voit passer depuis quelques jours me demande si je suis de la presse. « J'aimerais bien, mais non » lui réponds-je. Il ferme la sangle devant les étudiantes qui me précèdent. « Terminé, c'est rempli. Vous pouvez rentrer chez vous. » Je n'en reviens pas, mais le découragement ne me fera pas céder. Aurais-je dû oser prétendre que j'étais journaliste ? Non, j'ai bien vu sa liste nominative et les badges vérifiés... Je reste dans la file, quelques minutes. « Je vous ai dit qu'il n'y avait plus de place. Vous pouvez rentrer chez vous. » J'attends un bon quart d'heure. Certains retraités se sont découragés. « Faites comme vous voulez, mais il n'y a plus de place. Rentrez chez vous. » Je souris et lui réponds aimablement « L'espoir fait vivre. » Il est dubitatif et replonge son nez dans son portable. Je parie en moi-même sur les étudiants qui ne restent pas. J'estime qu'au bout d'une heure, le temps du premier témoignage, ça devrait commencer à bouger. Encore un bon quart d'heure et certains étudiants de la file d'attente renoncent. Nous ne sommes plus que quelques résistants et nous papotons de nos motivations à assister au procès. Ce sont principalement des habitants du quartier du meurtre.
Plus d'une heure que le pilier de la salle m'aide à tenir bon, ça ne devrait pas tarder à payer... Encore quelques renoncements et nous voilà deux à attendre. Je remarque que deux hommes athlétiques, bien habillés, sont toujours là à discuter sur les bancs en marbre tout en jetant régulièrement un coup d’œil à la porte. J'espère bien qu'ils ne comptent pas nous dépasser.
Une heure trente de patience et la porte s'ouvre, enfin ! Fausse joie... C'est la pause. Certains partent avec leur veste et leur sac, j'attends que le flux sorte et je me faufile.
La salle s'est vidée, quelques journalistes tapotent à l'ordinateur, quelques étudiants n'ont pas voulu lâcher leur place, les avocats se concertent à voix basse. Je ne sais pas ce que j'ai raté, mais le témoin a dû se faire cuisiner sérieusement. Effectivement, cette journée est consacrée aux enquêteurs de police. Six au total vont témoigner devant le juge. Dans les procès précédents, les avocats de la défense n'ont pas épargné les enquêteurs, alors dans ce procès confrontant délinquants et policiers, j'imagine sans peine Me B. et Me A. mettre à mal les directeurs d'enquête successifs s'acharnant copieusement sur les zones d'ombre ou le moindre détail qui pourrait faire naître le plus petit doute quant à la culpabilité de leur client qui nie tout.
Quand tout le monde reprend sa place, l'ambiance s'alourdit soudainement. La moitié droite de la salle ne compte que des policiers au visage fermé. La famille évite de regarder la partie adverse, l'énervement latent crispe leurs traits. Les avocats lisent, annotent, classent, fouillent leur ordinateur. Ils sont dans les startingblocks. La sonnerie retentit, la porte de la salle de délibération s'ouvre. Plus aucun sourire au coin des lèvres des jurés, le poids des échanges tendus semble tirer imperceptiblement les traits de la cour. Un salut discret de loin à mes compagnons de jury les sort de leur concentration pesante, le temps de quelques secondes.
À l'invitation du président, l'huissier fait entrer le deuxième témoin de la matinée. Je le reconnais, il attendait sur le banc de marbre en surveillant la salle. Une fois n'est pas coutume, le magistrat principal pose le cadre du témoignage avec lenteur et complétude. La question des tirs échangés est le sujet du moment, les témoignages diffèrent. L'officier explique les règles d'utilisation des armes en mission, tout cela en des termes professionnels que le public maîtrise mal. Magistrats, avocats et témoins débattent d'un sujet technique cherchant à définir le nombre de tirs en fonction des impacts, des douilles et ogives retrouvés sur la scène. L'homme de terrain nuance ces calculs, l'expérience lui fait dire qu'aucune enquête ne retrouve le nombre complet de douilles et d'ogives (à cause du vent, des bouches d'égouts...) et que le choc émotionnel peut tout à fait déformer le souvenir auditif. Il ne s'interdit pas de penser que le tireur ait pu déclencher l'arme cachée dans la sacoche sans la sortir, ainsi la douille serait restée dans le petit sac.
Afin de contextualiser les hypothèses, le président annonce la projection d'une photo de la scène du crime, prévenant la famille que l'on apercevra au loin le corps de la victime sous un drap. Cet homme, toujours précautionneux quant à l'émotivité des personnes, leur propose de sortir. Quand l'image apparaît, avec cette silhouette blanche à peine visible, le président prend le temps de commenter les lieux, les déplacements supposés des protagonistes, les tirs possibles. L'assistance découvre alors une placette dans le prolongement d'une rue allant vers l'est, bordée de vieux immeubles colorés et disparates, ponctuée de places de parking, de voitures, et végétalisée par un petit arbre qui essaie de pousser sur le bord d'un trottoir. Non loin de lui, une forme humaine est allongée sous un drap blanc. Me G., l'avocate de la partie civile ose un commentaire sur une supputation irréaliste à sons sens, elle est poliment remise à sa place par le magistrat qui n’a pas fini sa présentation. Là où bien des gens s'écharpent quand il y a abus, un désaccord, ce monsieur garde son calme et choisit les bons mots, ni offensants, ni déplacés mais sans appel possible. C'est appréciable, c'est inspirant.
Le président annonce alors les photos du buste du défunt, prises par le médecin légiste. La famille est à nouveau invitée à se dispenser de ce visionnage. Nous attendons dans le silence que la maman et l'épouse sorte de la salle par la porte derrière elles. Nous ne voyons pas de visage, juste un buste, non identifiable. Comme il doit être difficile de voir un morceau de son mari ou de son fils sur un écran géant, et reconnaître son teint de peau, sa pilosité, sa musculature... Un procès est une exposition de pièces à conviction dont certaines ont une charge émotionnelle conséquente. Personnellement, c'est la première fois que je vois un impact de balle sur un corps humain. Je constate ainsi que les films sont assez réalistes. Ici, l'on voit deux trous dans le thorax, puis celui sur le dessus d'une main. Pour chacun de ces trous, le médecin légiste à inséré des réglettes fines permettant de visualiser la provenance de la balle. C'est étonnant toutes les questions qu'il peut en découler : comment est-il possible que le tir soit légèrement ascendant ? Quelles peuvent être les positions du tireur et de la victime ? La victime pouvait-elle être à terre ? Dans quel ordre ont eu lieu les tirs ? Comment expliquer qu'il y ait trois impacts pour deux tirs annoncés ? La main pouvait-elle se trouver devant le thorax ? De quel type d'arme s'agit-il ? Combien de douilles, de chemisages ou d'ogives ont été retrouvés au total ? Comment ont-ils été cherchés ? Faisait-il nuit ? La scène avait-elle été correctement sécurisée ?
L'officier d'enquête répond sereinement avec les éléments qu'il a pu réunir : les soins sur la victime ont duré une heure sur place, l'intensité dramatique était forte, la foule, les collègues, les voisins sont venus rapidement en masse, la fouille a duré longtemps après que tout le monde ait été évacué, de nuit à la lumière des lampadaires, la voiture garée entre les deux protagonistes, cible de deux tirs, a été entièrement désossée…
L'avocat de la défense, Me B., accoudé au pupitre, lunettes toujours vacillantes entre son pouce et son majeur, le regard sombre, tente de faire penser à l'assemblée que la scène a pu être instrumentalisée, à tout le moins réaménagée par la police. Il est agacé quand l'enquêteur témoigne d'un tir visant le collègue de la victime. « Cela n'a jamais été mentionné dans les dépositions. » L'officier répond qu'avec le choc subi, il est bien normal que les morceaux de l'histoire lui reviennent pas bribes. Me B. laisse planer le doute quant à la part de vérité de cette histoire qui n'a pas beaucoup de preuves matérielles. Jouant le jeu de cette hypothèse, l'avocat suppose :
« Le tireur s'est peut-être senti menacé par ce collègue ?
- On ne tire pas sur une personne en fuite, c'est contraire aux procédures, rétorque l’officier qui se raidit :
- Ah bon ? Votre réponse me surprend... » rebondit l'avocat sans attendre.
Un bruissement de commentaires scandalisés se fait entendre du côté des policiers. Me B. a pris les rênes d'un interrogatoire qui s'annonce tendu. Il se promène en reprenant les faits établis d'un ton professoral, tout en regardant les jurés et l'assistance d'un air satisfait. Sa démonstration terminée, il s'appuie sur le pupitre comme il s'appuierait sur un comptoir de bar, les lunettes tournant toujours entre ses doigts, pose son regard franc sur l'officier et lui adresse mielleusement ses questions avant de jeter un nouveau coup d’œil au public, comme pour valider sa malice. Quelques supputations glissées dans les questions lui valent des rappels à l'ordre. L'avocat reconnaît douceureusement ses torts, mais ce qui est dit est entendu et marque les esprits.
L'avocat fouille sur son bureau et montre à l'officier un document. Voilà de quoi agacer le président : « La règle veut que vous annonciez la côte. » Maître B. s'agite et explique qu'il aimerait avancer, ce à quoi le magistrat lui intime l'ordre de garder son calme. Lui, il prend le temps d'annoncer la pièce choisie, de la montrer et de la commenter aux jurés. L'avocat reprend au passage le magistrat sur quelques détails. La tension entre eux commence à être palpable. Il semblerait que l'avocat connu pour être virulent ait décidé de discréditer et l'officier de police et le président dans le même interrogatoire. Les sourcils de ce président toujours calme et bienveillant se froncent de plus en plus souvent. L'enquêteur n'en a pas fini de subir les questions orientées de cet avocat qui ramène toujours les réponses à son axe de développement, quitte à lui couper la parole, le menant peu à peu sur le sujet de la sacoche du policier, cherchant ainsi à aborder le sujet de l'identification de son état de « flic » par le tireur. Le magistrat principal ne laisse pas passer cet écart :
« Nous sommes sur le sujet des tirs, merci de respecter l'ordre du jour, maître !
- Ah, très bien, merci de me le rappeler... », l'avocat nous fait grâce d'un peu de flagornerie pour adoucir l'ambiance, mais la graine de la suspicion a été plantée.
Les prochaines photos visionnées seront celles de la victime, prises sur le lieu du crime, juste après son décès. Les proches préfèrent sortir à nouveau de la salle. Le corps sous le drap, la nuit tombante, puis le t-shirt déchiré montrant les plaies du buste, puis la main avec la plaie transfixiante (traversante) et enfin les blessures au visage. Une bonne partie des policiers baissent les yeux, d'autres ont le regard humide devant la photo de leur collègue. Ils sont bouleversés par ce visage sans vie qui, quelques heures auparavant, rentrait de mission après une belle journée de printemps. Ce visage était celui d'un ami, d'un proche, d'un camarade... d'un inconnu pour le tireur. Aujourd'hui, le tireur est seul, et évite les regards appuyés des policiers en cachant toujours et encore sa tête entre ses coudes. La cour tente de garder son sang froid pour aborder l'enquête de manière scientifique, faisant de son mieux pour contenir la vague de tristesse et de colère qui bruisse.
Une ogive d'arme à blanc bricolée a été retrouvée dans la hanche. Le président demande à projeter une capture d'écran du compte social de l'accusé.
« Peut-il s'agir de cette arme exhibée dans sa vidéo quelques jours avant ?
- Oui , répond l'officier.
- Savez-vous si la rue était l'objet de friction entre deux groupes de trafiquants ? Cela expliquerait qu'il puisse porter un arme…, reprend l'avocat de la défense.
- Effectivement, un témoin a parlé de quelques coups de feu peu de temps auparavant. »
La cour questionne ensuite l'officier sur les sommes d'argent en lien avec le départ de Mr A., départ accompagné par un cortège de scooters jusqu'à la sortie de la ville. Il décompte : quelques milliers d'euros confiés à sa mère pour les mettre en lieu sûr et qu'un oncle est venu déposer au commissariat, et encore quelques milliers d'euros trouvés dans la voiture... Une sacrée somme pour un prétendu simple aller-retour touristique en Espagne.
L'assesseur explore la piste des traces ADN sur les ogives. Elles sont impossibles à relever, l'échauffement dégrade toutes empreintes.
L'autre assesseur questionne l'officier :
« Pensez-vous qu'ils aient été détronchés ? (Quel nouveau mot ! Détroncher…)
- Oui, flics et dealers, c'est comme ça, on se reconnaît d'un seul regard. Mr M. n'avait rien d'un profil de dealer. Quand Mr A. lui a demandé s'il charbonnait, il savait très bien qu'il ne s'adressait pas à un dealer concurrent. »
Détroncher, ça veut donc dire : reconnaître un flic en civil. Me G. et Me L., les avocats de la partie civile fouillent du côté des traces ADN sur la matraque. « Partielles et non significatives. De toute façon, la matraque ne nous est revenue que quelques heures après, nous ne pouvions pas nous fier à ce qu'elle comportait, nous ne savons pas qui l'a ramenée au placard. » Le policier ne masque rien de cette vérité. « Le collègue qui a fait les premiers soins a déchiré le t-shirt et écarté du pied tout ce qui était à côté du corps, sans doute le brassard, la sacoche et la matraque. Un autre collègue a dû les ramasser après le départ du corps et les ramener au casier, machinalement. » Voilà le genre de faille qui plaira à la défense.
L'avocate générale resitue tout le contexte de cette rencontre fatale et aborde la question de la présentation de son statut de policier à la contrevenante. Pendant son développement, les avocats de la défense discutent sans faire l'effort de chuchoter. Que cherchent-ils en faisant cela ? Déstabiliser la procureure ? Elle en arrive à soulever la question du brassard « POLICE ». Le président demande à diffuser une photo pour permettre aux jurés de réaliser combien il est reconnaissable, même tenu simplement à la main.
« Il faudra nous dire où il a été retrouvé ce brassard , marmonne Maître B. à haute et intelligible voix.
- Oui, voilà ! » appuie sa consœur Me A.
Petite remarque gratuite instillant le doute dans l'esprit des jurés... Le président a perdu sa bonhommie, l'agacement tend les traits de son visage. Cet avocat qui se sent tellement à l'aise qu'il se permet de lâcher des commentaires pendant ses interventions, c'est plus que déplacé, c'est irrespectueux. Tout à l'honneur de sa distinction orale, le président rétorque sans tarder :
« Je suis surpris que vous anticipiez mon travail ! Je prends de l'âge, je le sais. Je vous remercie de m'aider.
- Oh, vous savez, on est du même âge... » répond Maître B. qui se sent près du hors-jeu
- Oui, on est de la même génération, celle sur le déclin... » rebondit le président avec un rictus au coin des lèvres.
Maître B. se résout à déclarer forfait après une seconde d'étonnement, affichant un sourire forcé. Je jubile de cette réponse qui dit avec classe : si vous osez me faire passer pour un grabataire dans ma salle d'audience, rappelez-vous que vous êtes tout aussi défraîchi que moi, la preuve en est votre oubli du respect des règles.
Le président qui ne garde pas une once de rancune dans sa voix s'adresse à l'officier et lui demande d'expliquer comment la méthode d'enquête a pu cibler l'accusé avec certitude. « Quatre-vingt officiers enquêtant partout en ville et des dizaines d'appels téléphoniques, cela représente plusieurs dizaines de témoignages recoupés et vérifiés. Les preuves matérielles sont venues corroborer l'identité de Mr A. Après vérification de tous ces éléments, le bornage du téléphone du suspect, cohérent avec le déroulé des faits, a fini d'établir la suspicion à l'encontre de Mr A. Son changement de téléphone le lendemain des faits... tant de choses ont concordé. Quatre jours d'enquête non-stop ont permis de l'identifier, reconstituer son parcours, surveiller son quartier, ses relations, leurs appels et de le cueillir au moment de sa fuite. Son post « Un flic, une balle, justice sociale » avec la photo de la une médiatique parlant de l'assassinat ne l'a pas aidé à permettre le doute. »
Quant aux témoins anonymes, l'officier glisse au passage les appels anxieux des gens du quartier craignant les représailles de ces trafiquants connus. Pour autant, les témoignages anonymes qui pourraient servir la défense pour une thèse de l'accusation gratuite, ne sont pas nombreux parce qu'ils sont soumis à une enquête de réelle mise en danger du témoin...
L'avocate de la défense s'avance au pupitre en replaçant sans cesse sa longue mèche de cheveux. À côté, le policier s'appuie des deux mains sur son pupitre et se rigidifie. Il est prêt à combattre. Elle, elle tourne autour de son micro, se gratte la tête, avance les faits d'une manière qui laisse penser qu'elle n'en est pas certaine et finit par poser ses questions en lui lançant des regards bien sombres. Elle veut savoir pourquoi la victime portait une tenue civile ce jour-là.
« Ce n'est pas un quartier de deal notoire, il n'était plus en mission, il n'était donc pas nécessaire d'être en tenue , répond l’officier
- Qu'est-ce qui permet aux policiers de reconnaître les trafiquants ? Lui demande l'avocate, figée devant lui, les yeux plissés. Nous voilà sur une pente glissante.
- L'âge : quatorze, vingt ans. La tenue : jogging, basket, sacoche, casquette. L'origine sociale : issu des cités…, explique le policier qui pressent où elle veut l’amener
- Un cliché, quoi, non ? lance-t-elle avec une pointe d’accusation
- Jusqu'ici, il n'y a que vous qui ait fait évoquer la question des origines de l'accusé. Préfère intervenir le président, avant que cela ne dérape. Pas de réponse... Elle rebondit donc sur la tenue : - Et la victime, Mr M. comment était-il habillé ?
- Jogging, t-shirt, basket...
- Donc une tenue de dealer... Comment Mr A. aurait pu l'identifier policier ?
- Par l'âge... »
La réponse de l'officier est rapidement coupée par l'avocate, une fois, deux fois, trois fois. L'enquêteur ne peut pas développer ses réponses. Le président intervient énergiquement pour qu'elle laisse le témoin finir ses phrases. Il n'a pas fini la sienne, qu'elle coupe :
« Mais, je ne coupe pas...
- Vous venez encore de le faire avec m...
- Mais non ce n'est vrai !
- Enfin, arrêtez de couper la paro...
- Ce n'est pas vrai ! Je ne fais pas ça ! »
Quand une dernière fois le président la sermonne comme un professeur, et qu'enfin elle le laisse s'exprimer, il conclue cet échange par :
« Vous verrez, la politesse, ça se travaille avec l'expérience !
Puis il retourner son regard vers l'officier.
- Merci pour vos conseils » lui répond l'avocate qui détourne son regard amer.
Ce n'est pas une jeune avocate, elle a de la bouteille et une réputation, ce genre de couperet est difficile à avaler. Elle continue son interrogatoire, contrariée, en insinuant ce manque de professionnalisme, à coup de : « Je n'ai peut-être pas compris mais... », « Sauf erreur de ma part, ... », « Peut-être que mon manque d'expérience me fait défaut mais... ». Toutes ses questions mènent les jurés à penser que peut-être la victime n'était pas identifiable comme policier.
Assis derrière son bureau, son confrère Me B. grogne en sourdine, il ronge son frein et attend son entrée en scène. Quand enfin, l'avocate de la défense se rassoit en faisant des commentaires à voix basse, Me B. se déploie et avance d'un air débonnaire et patibulaire à la fois. « J'en viens à la sacoche... », il détourne la tête vers le président et lui demande tel un élève provocateur: « J'peux M'sieur ?» Un signe de la tête lui suffira pour réponse. La fin de matinée est largement entamée, les jurés tentent de rester concentrés en supportant leur tête entre leurs mains.
« Cette sacoche contenant matraque et brassard, dites-nous qui l'a vue, où et quand ?
- Le collègue de la victime certifie avoir vu Mr M. mettre la main dans sa sacoche juste avant le tir pour prendre sa matraque. L'acheteuse en a parlé.
- Une marginale toxico, pas vraiment fiable... » selon l'avocat.
- Il y avait aussi le policier venu faire le massage qui dit l'avoir écartée du pied.
- Ca ne fait pas beaucoup de certitudes quant à la présence de cette sacoche, en dehors des témoignages de policiers... D'autant plus qu'elle n'a été retrouvée au commissariat que plusieurs heures plus tard... » Me B. quitte son pupitre sur lequel il était appuyé en ne laissant guère de temps à une éventuelle réponse. Il tourne déjà le dos au témoin pour rejoindre sa place, fermé comme un bouledogue tendu par l'affrontement.
Midi est largement passé, l'officier de police est enfin remercié. D'autres officiers seront appelés à la barre cet après-midi, la journée va être très lourde pour tout le monde, y compris les accusés connexes et leur avocat qui font figuration aujourd'hui. L'accusé principal ? On oublierait presque sa présence et son visage, il s'efface entre ses coudes.
Je dois rentrer, mon devoir de maman m'appelle. Cet après-midi, ma priorité ce sont les activités de mes enfants, mais il ne me faudrait pas grand chose pour rester là. Promis, je reviens faire un tour en fin d'après-midi, ça risque bien de traîner...
Dix-huit heures : les avocats discutent près du portique, leur robe posée sur leur sacoche, le hall est vide. Leur journée est finie, du moins celle de l'adversité dans la salle d'audience. Les témoins de l'après-midi avaient peut-être moins d'informations cruciales à partagée ou alors, les avocats n'avaient-ils plus la même énergie pour les discréditer... Demain, quatrième jour, sera le jour des témoins appelés par les avocats, d'autres éclairages de l'histoire. Ainsi avance l'enquête, un angle après l'autre, peu à peu, une vision d'ensemble apparaît.
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