Celui qui est venu par hasard
Le festival touche à sa fin. Dernier week-end. Les troupes recrutent une dernière salve de tracteurs pour finir en beauté, salle comble, remplie des derniers festivaliers et programmateurs en ville. Ce matin, j’ai rendez-vous dans un théâtre extra-muros (en dehors des remparts). Le festival déborde des murs, jusqu’à plusieurs kilomètres dans des salles desservies par des navettes. Ce théâtre-là est à un passage piéton des remparts. Discret, il est installé dans un vieux corps de ce qui a pu être une ferme fut un temps très lointain. Grand portail en fer, cour de gravier à l’ombre de platanes centenaires, et haute façade de hangar abrupte. Si le reste de l’année le lieu est plutôt anonyme, là il a revêtu ses habits de fête : guirlandes de lampions, fanion, roulotte restaurative, rideaux rouges, placards d’affiches, tables et chaises bistrot en fer parsemées çà et là… L’ambiance y est conviviale. J’y retrouve un ami, comédien, le seul comédien de mon entourage. Pour cette avant-dernière interview, je tenais à lui faire une place. Il fait partie de ceux qui ne jouent pas au Off de cette année. Il faut dire que c’est un festival particulier, les dates ayant été décalées pour faire place aux Jeux olympiques. Ça n’a pas été simple : une annulation annoncée, puis des aménagements proposés pour faire vivre le théâtre, mais en démarrant sur une semaine scolaire, et quelques jours en moins… Les premières estimations relayées par la presse sont mitigées : plus de spectacles proposés, plus d’entrées achetées par le site partenaire, mais moins de fréquentations en général. Les compagnies accusent le coup d’une première semaine trop lente à démarrer… La partie n’est pas terminée, il reste un week-end, soit environ deux séances pour chaque compagnie !
Celui qui est venu par hasard
Mon ami est en discussion sérieuse avec un homme, tous deux penchés sur une table. Autour, des couples boivent leur café tranquillement, trois personnes échangent sur le casting qui va débuter et deux artisans fabriquent des masques traditionnels en cuir dans un cabanon ouvert aux regards curieux. Mon ami ne joue pas, mais le festival bouillonne de rencontres professionnelles. Nous nous voyons entre deux de ses rendez-vous qu’il rejoint à coups de pédale.
Te souviens-tu du jour où tu as choisi d’être comédien ?
Ça n’était pas prévu du tout. Un jour, ma fille de dix ans (ça remonte à vingt ans) nous demande de l’amener au spectacle de théâtre de sa copine. J’y suis allé sans conviction particulière, mais ça lui faisait tellement plaisir. C’était sympa, le professeur nous a invités à rester à la représentation adulte. À y être, je suis resté. Et, ne me demande pas ce qu’il s’est passé, mais leur représentation m’a déclenché quelque chose. Ce n’était pas la première fois que j’allais au théâtre, mais ce jour-là, j’ai ressenti quelque chose de fort. Une irrépressible envie de faire ça : du théâtre. Une année de cours ne m’a pas suffi, j’en voulais plus. L’année suivante, en m’investissant davantage, en participant à la création d’une pièce pour une œuvre caritative, j’ai découvert l’horlogerie qu’est le montage d’une pièce : chaque geste, chaque intonation, chaque déplacement, chaque lumière compte pour le rendu final. Ça m’a passionné et là j’ai senti que je ne pouvais pas me contenter de faire du théâtre en dilettante. Après ça, avec quelques autres élèves du cours, nous avons monté une compagnie et de rôle en rôle, je n’ai jamais décroché. Au contraire, je me suis mis à la mise en scène et à l’écriture !
Raconte-moi le jour où tu t’es dit : « Ça y est, j’y suis arrivé ! Je suis comédien. »
Ça a été compliqué. Sans formation classique de conservatoire et autres grandes écoles, j’ai mis du temps à m’autoriser à le dire, aux yeux du milieu. Mais, je peux parler du jour où je l’ai senti en moi.
Avec Philippe Josserand, mon professeur de théâtre, nous jouions le plus souvent des comédies humoristiques. Une fois, il nous a fait jouer Beaucoup de Bruit Pour Rien de Shakespeare, qui est une comédie, mais qui a aussi des moments de grandes tensions. Le personnage que je jouais se retrouvait à devoir convoquer en duel son meilleur ami pour l’honneur d’une femme. En sortant de cette scène-là, intérieurement, j’étais rempli de ce personnage. C’était la première fois que je ressentais si puissamment un rôle dans mes tripes. C’est là que je me suis dit que j’avais passé un cap.
Et tout ça, grâce à qui ?
Et bien, à ma fille qui m’a mené sans le savoir vers une révélation. Et puis aussi à Philippe Josserand qui m’a donné de bonnes bases et offert de belles expériences pour découvrir les facettes du théâtre. Et quelque part, à mon arrière-grand-mère, jeune fille-mère prof de piano qui a vécu une vie d’aventures dans le monde du spectacle. Il doit y avoir quelque chose de transmis…
Olivier regarde sa montre, son téléphone sonne. Son prochain rendez-vous l’attend au village du Off installé dans une école du centre-ville, le repère des professionnels du spectacle.
Il fait partie de ces nombreux comédiens qui ne courent pas après la célébrité, mais après les occasions de donner vie à des histoires dans des théâtres ou des collèges. Ainsi, faute de festival, il écrit et prépare une prochaine pièce, pourquoi pas une autre qui lui trotte dans la tête, aide un auteur à transformer son roman en pièce… À défaut d’être sur scène, il travaille ses mots sur son ordinateur, les choisit avec délicatesse et cisèle ses phrases, imagine les lumières, l’ambiance, le décor, peaufine, fignole et entretient les projets déjà en route. Être sur scène n’est qu’une partie du métier.