Celle qui avait eu besoin d'une pause / celui qui avait eu besoin de plus
Les danseurs de claquettes, les tracteurs souriants, les festivaliers en promenade, les animateurs radio, tout le monde est au rendez-vous ce matin, à sa place, à sa tâche, à son rythme. Un ronron bien rodé.
Celle qui avait eu besoin d'une pause
L’invitée au micro, la quarantaine souriante, répond à cette question de l’animatrice : naître beau, intelligent et argenté, est-ce alors une garantie de bonheur ? Quelle question ! Nous en sommes tous un peu persuadés, ce serait tellement plus facile si nous étions tout cela. La réponse de l’invitée est prudente, nuancée et conclut que la seule garantie du bonheur, c’est l’amour. L’amour des autres et de soi, malgré les accidents de la vie. Elle raconte cet enfant trop jeune pour avoir eu déjà tant d’opérations qui l’a remerciée pour ce spectacle émouvant et positif. L’animatrice en déduit que c’est un spectacle pour enfant. Non, c’est une histoire d’enfant devenue adulte, un spectacle pour tous les âges, même pour les plus jeunes.
Elle n’a que les trois secondes du jingle pour quitter le fauteuil et laisser la place à une troupe de six comédiens enthousiastes. En marche vers le flot de la place, je l’intercepte et engage la discussion sur son intervention que j’ai trouvée délicate et remplie d’humanité. Un homme nous interrompt, la félicite pour son spectacle et me conseille vivement d’aller la voir jouer.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez choisi d'être comédienne ?
« J’ai découvert le théâtre en 4ème avec une prof passionnée. On a rapidement monté une troupe de comédiens collégiens. Finalement, le théâtre a ponctué ma vie, toujours dans un atelier, un cours… Finalement, je suis devenue orthophoniste, l’incertitude d’une vie de comédienne me faisait peur, et à mon entourage aussi. Il est arrivé un moment, il y a vingt ans, où les quatre murs de mon cabinet et mon agenda rempli du matin au soir sur des semaines complètes, ça m’a étouffée. J’ai décidé de prendre du recul, de me recentrer. Étrangement, peu de temps après, une compagnie de théâtre est venue s’installer dans mon coin d’Ardèche. Ils ont joué un théâtre que j’adore, social, tourné vers l’amour et la joie. En les voyant, je me suis dit que c’était exactement le genre de compagnie que je rêverais d’intégrer. D’une rencontre à l’autre, d’ateliers en rôles, cette compagnie est devenue mon quotidien, mon activité principale. Je n’ai pas tant décidé d’être comédienne que de faire de la place dans ma vie et le théâtre est venu de lui-même prendre la place dont je rêvais. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis arrivée ! Je suis comédienne ».
« N’ayant pas eu un parcours officiel de conservatoire, grandes écoles et autres, j’ai longtemps eu un problème avec ma légitimité dans ce milieu. Puis quand les choses sont devenues faciles, agréables, évidentes, je me suis sentie à ma place. J’ai mis bien dix ans à me dire comédienne. Aujourd’hui, je ne regrette pas ma vie d’avant, même si l’incertitude reste là, je sais que je suis au bon endroit. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« À ma prof de 4ème, au départ. Puis au metteur en scène de la compagnie qui m’a fait confiance ! Dans ce métier, tout est souvent dû à la confiance que quelqu’un te donne. »
Notre discussion dure un moment, car elle est fière de l’esprit de sa compagnie, étonnée et reconnaissante de cet alignement d’étoiles qui l’a menée vers une place dont elle n’osait pas prendre le chemin. Longtemps, elle avait trop entendu dire que le métier de comédien n’était pas un vrai métier. Elle me raconte ses études ultras spécialisées pour être orthophoniste et toutes les compétences inattendues que cette reconversion lui a révélées : gestion, administration, communication, bricolage… Son regard est serein, elle est bien dans cette « nouvelle vie » empruntée il y a vingt ans.
De retour sur mon banc, la bande de comédiens est toujours au micro, leur accent trahit des origines québécoises. Ils parlent d’écoanxiété, de syndromes dépressifs chez les plus jeunes et de leur envie de leur donner de l’espoir. Ces comédiens et comédiennes sont lucides, et pour autant pleins de joie et de bonne humeur. Le Poids des Fourmis, ce drôle de nom de pièce, évoque une statistique qui montre que le poids de toutes les fourmis de la Terre réunies dépasse le poids de tous les humains réunis. C’est l’image qu’ils ont choisie pour dire aux jeunes que malgré le sentiment isolé de n’être pas grand-chose dans ce destin annoncé funeste, la somme des pas grand- chose réunis peut changer la donne. Nous discutons de leur pièce très attrayante, mais je renonce à les interviewer, ils sont trop nombreux pour moi.
Celui qui avait eu besoin de plus
L’émission est terminée, je ramasse mes affaires sur le banc quand un homme distribue son tract à tous mes voisins. J’entends « Mireille », « Mistral ». Ces deux mots attirent mon attention, il s’agit de la prochaine lecture que je me suis promise. Je lève les yeux, l’homme porte une chemise provençale blanche à motifs d’Indiennes marron, un jean et les cheveux bouclés lâchés. Le hasard fait bien les choses, je lui parle de mon projet d’explorer la culture littéraire locale et engage la conversation sur sa pièce inspirée de la vie du félibre et de ses écrits. Il propose un morceau de Provence, un bain de fraîcheur, dans une salle obscure où les décors, la musique et le texte redonnent vie à la Provence félibréenne. L’homme est à la fois l’auteur et l’interprète…
Vous souvenez-vous du jour où vous avez choisi d'être comédien?
« Jeune, j’étais cascadeur équestre pour des spectacles et même pour un film. Au bout d’un moment, ça ne me suffisait plus, je voulais aller plus loin dans le spectacle. C’est là que j’ai voulu faire du théâtre. Mon père, boulanger et cavalier aguerri, n’était pas pour. Pourtant, c’est lui qui m’a trouvé mon premier cours de théâtre. J’ai continué au conservatoire et de rencontre en projets, j’en ai fait ma vie. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis arrivé ! Je suis comédien. »
« Sans le savoir. Un jour, tu regardes ton parcours et tu te dis qu’en fait, c’est déjà fait ! »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Au conservatoire qui est une formation solide, où les rencontres sont riches et ouvrent des portes ! »
Une histoire pour apprendre à s’aimer, une création pour redonner espoir à la jeunesse, une pièce pour présenter le prix Nobel de littérature amoureux de sa Provence, le thème de la journée pourrait être : « le théâtre, extracteur du meilleur de l’humanité ». Une heure, une heure trente, voilà la durée moyenne d’une pièce pour inviter les curieux à quitter leur ronron quotidien et leur dire : « Hey, stop, regardez ce morceau d’humanité comme il est beau. Nous autres comédiens allons vous jouer, en de bons mots choisis, une histoire qui nous rappelle comme il se passe de belles choses sur cette Terre. » Le comédien nous offre une loupe, un focus, un zoom, sur ce que l’être humain peut faire de merveilleux… ou de pire, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, le hasard a décidé que ce ne serait que du positif ! Merci à ces comédiens soigneurs de défaitisme !