Il y a un an et demie, une dame m'a contactée pour aider son papa. Sa maman partie après des mois de maladie avait laissé un vide douloureux à chacun d’eux. L’homme veuf depuis peu avait décidé de prendre le stylo et de poser les mots pour raconter leur rencontre, leur vie remplie de haut et de bas, et les dernières années de patience et de courage. Des dizaines de pages étaient déjà noircies de souvenirs, le projet mémoriel lui était devenu vital. Il lui fallait écrire pour se souvenir de la belle personne qu'elle avait été, écrire pour inscrire sa place dans la mémoire de la famille, écrire pour remplir le manque.
Aux yeux de sa fille, cette œuvre mémorielle ne pouvait rester à l'état de brouillon dans une commode. Une aide professionnelle pour en faire un livre hommage lui semblait venir parfaire ce manuscrit si personnel et sensible.
Après une première rencontre conviviale pour leur expliquer mon métier de biographe, l'aventure se déroula au fil des mois par échange de pages manuscrites à transcrire puis à valider, des messages chaleureux pour entretenir l’élan et des appels téléphoniques pour étayer, éclaircir, ordonner l'histoire remémorée. L’écriture prit du temps, beaucoup de temps, surtout quand il lui fallut raconter les derniers mois, les dernières semaines, les derniers jours puis l'absence insupportable. Les mots mis sur la peine furent douloureux, la plume bien lourde et les yeux bien humides.
Quelques discrets effacements de répétitions langagières, quelques mots de liaison pour fluidifier la lecture et le texte fut prêt. L’ajout de photos patiemment sélectionnées vint illustrer ces 58 années d’amour et de vie partagés. Une dernière rencontre pour lui proposer des formats de livre, des qualité de papiers et des styles de couverture fut l’occasion de le laisser imaginer l’objet qu’il tiendrait dans ses mains et qu’il exposerait dans sa bibliothèque. Le titre qu’il choisit d’inscrire sur la couverture conclua cette mission qu’il s’était donnée.
« Je ne savais pas trop ce que ça allait donner. On vous a fait confiance et aujourd’hui, on est fiers de ce livre. Grâce à lui, elle sera toujours dans nos mémoires. »
L’émotion de cet homme et de sa fille entendue au téléphone témoigne de la préciosité de nos souvenirs, traces invisibles et fragiles d’une vie, de moments partagés, d’amitiés profondes, d’épreuves traversées avec courage, d’amour façonné par le temps…
On dit qu’une personne qui meurt est une bibliothèque qui disparaît. Écrire ce qu’elle a été à nos yeux, la place qu’elle a eu dans notre vie et l’empreinte qu’elle nous laisse est une façon de lui rendre hommage, et de lui éviter l’oubli que le passage du temps favorise…
Ce livre déposé dans la bibliothèque de famille répondra, sans doute, un jour, à la curiosité des petits-enfants et arrières-petits-enfants qui n’auront pas eu la chance de la connaître...
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