Journal d'une expérience inattendue - Procès 4: procès meurtre sur dépositaire de l'autorité publique, jour 1
Les yeux lourds, le nœud au ventre... on a connu meilleur démarrage de journée. Une petite pastille de calmant aux plantes et en avant. Je ne traîne pas, le quartier du tribunal risque d'être assailli de voitures.
Le parking habituel situé derrière le tribunal est bloqué par des barrières gardées par des policiers armés, aux aguets. Ambiance tendue, ça donne le ton. J'ose leur demander s'ils laisseraient passer une jurée qui cherche à se garer, je crains d'être en retard. Ces messieurs se montrent conciliants et aimables, m'ouvrent la barrière. Un soucis de moins. Je croise un co-juré sortant de sa voiture, il me demande si j'ai vu le monde devant le tribunal. Non, j'arrive par l'arrière, et tant mieux. Effectivement, une petite foule inhabituelle occupe le parvis, surveillée par une voiture de police stationnée devant le portail, gyrophare allumé et quelques hommes en armes. Ambiance haute sécurité...
Nous passons le portique, ma pastille doit faire effet car je plaisante avec les gardiens qui commencent à nous connaître. Le hall bourdonne de chuchotements, on repère rapidement des caméras, des perches micros. Sans surprise, notre groupe de jurés est installé sur les bancs de marbres, les visages sont particulièrement tendus. Nous plaisantons du mieux que nous pouvons mais tout le monde avoue ne pas avoir dormi. S. notre retraitée appelée aux trois premiers procès prie pour être épargnée. Mon autre voisine a du mal à respirer. Une autre a finalement changé d'avis, sa motivation à laisser place à l'angoisse. Comme moi, elle est partagée entre l'envie d'écouter les grands avocats annoncés mais redoute le poids médiatique et émotionnel. C'est bête, j'aurais dû leur partager ma boîte de pastilles aux plantes, parce que moi, ça va pas trop mal. Je décide de faire confiance : si je suis appelée, c'est que j'en suis capable. Un coup d’œil me permet d'identifier dans la foule la famille de la victime, abattue de tristesse. Des grands gaillards musclés au visage fermé pourraient bien être les collègues policiers.
Neuf heures, la porte de la salle d'audience ouvre et tout le monde s'y amasse, sauf nous parce que nous savons que nous serons appelés en priorité. Et honnêtement, personne n'est motivé pour se lever d'un bon pas et arracher sa place. L'huissier demande à nous laisser passer. La foule, telle une mer qui s'ouvre, nous fait une haie d'honneur et nous dévisage. À quelques détails près, on pourrait se croire sur la Croisette à Cannes, le tapis rouge et les paillettes en moins.
La crainte partagée, le besoin de soutien, le manque de place surtout, nous font asseoir tous côte à côte sur la partie de droite. Un premier appel fait état de ceux qui sont tombés malades durant le week-end, ainsi le nombre de noms dans le vase se restreint. Six titulaires seront tirés au sort, mais combien de supplémentaires pour assurer ces deux semaines de procès ? Et combien seront récusés ? Les statistiques ne laissent pas beaucoup de chance d'être oubliée...
Le public prend place, la famille de la victime s'installe. Une dame recroquevillée pose son regard mouillé dans le vide, ce doit être la maman. Elles sont deux à porter cette peine qui leur affaisse les épaules. L'autre plus jeune doit être la veuve. Quant à ceux qui les entourent, une once de détermination, de colère, anime leurs traits tirés par la tristesse : le père, le frère et la sœur j’imagine. La presse tourne en rond dans la salle, cherchant le meilleur angle de prise de vue, filmant les avocats qui installent leurs dossiers et prennent la pose. Ils savent jouer le jeu. Des dessinateurs sortent leur carnet, leurs crayons et leurs pinceaux, commencent à croquer les portraits des avocats. L'un d'entre eux est connu, maître B. fera la une des journaux. Au premier rang côté gauche, un jeune homme se cache dans ses coudes posés sur la tablette. Il cherche à s'isoler. L'agitation des ses jambes trahit une tension intérieure intense. Un avocat lui parle. Il est l'un des trois mis en accusation.
Deux robes noires en partie civile, un homme et une femme, quatre robes noires en défense, un homme et une femme pour le principal accusé, une femme pour représenter le prévenu déjà détenu et un homme pour le prévenu en liberté. Six robes noires, plus une aux côtés de l'avocat général. Huit, ils seront donc huit à plaider en fin de procès. Le bureau d'avocat général est tenu cette fois par la procureure en titre, une petite dame blonde souriante qui ne montre aucun signe d'inquiétude devant cette salle pleine à craquer.
Neuf heures quinze, nous attendons la sonnerie.
Neuf heures trente, toujours aucun signe du président, ma voisine est au bord du malaise. Je ne suis pas très fière non plus. L'ambiance est lourde, pas très bruyante mais oppressante, comme le calme qui précède la tempête. Chacun dans son coin ronge son frein ou son angoisse en attendant cette satanée sonnerie. Peut-être attend-on le détenu, peut-être fait-il des siennes pour venir ? Il avait bien refusé de descendre du camion le jour de la reconstitution.
Les journalistes sont partout dans la salle, à grappiller qui une image, qui un mot des avocats. Un caméraman nous tourne autour et nous filme. Je me cache derrière ma pochette. Le président avait promis que nous ne serions pas affichés, mais il n'est pas là. La greffière vient leur faire un rappel à l'ordre. Merci à elle.
Neuf heures quarante-cinq, nous aurions dû être fixés sur notre sort depuis presque une heure... La tension monte, le bruit avec, chacun discute avec son voisin pour dissiper son stress.
Dix heures, enfin, la sonnerie nous exhorte au silence, tout le monde se lève, les accusés entrent.
Dieu qu'il est jeune ce présumé meurtrier, une tête de poupon sur un corps de grand adolescent. Une moustache le déguise en homme. Ni fier, ni tendu, il découvre l'ambiance chargée de la salle, tous les yeux fixés sur lui. À côté de lui, le troisième accusé, pas plus âgé, montre plus d'inquiétude.
Le président toujours sérieux et posé entame l'appel des jurés. Maitre B. l'interrompt solennellement et demande à ce que nous nous levions pour mieux nous identifier. Ses yeux font des allers-retours entre sa liste et nos visages. Il consulte sa consœur et annotent leur feuille. Nous sommes jaugés tel un cheptel en vente à la foire agricole, devant la presse, et la salle pleine.
Ça y est, la main du président brasse nos noms dans le fameux vase et ma pastille ne jugule plus mon angoisse. Cette situation me dépasse : les caméras, les yeux fureteurs des journalistes, les larmes de la famille, la tension, le silence lourd comme du plomb. Ma voisine qui manquait d'air depuis une heure est appelée la première, se lève d'un bond et prend place. Je commence à prier fort, très fort :« Non, je ne suis pas assez solide pour ça ! Faites qu'il m'oublie ! » Comme d'habitude, certains sont récusés sans y trouver de logique. Je prie toujours aussi fort en malaxant mes doigts. S. est appelée. Carton plein pour notre adorable retraitée éreintée ! Notre groupe ne peut s'empêcher de lâcher un « oh » d'incrédulité pendant qu'elle rassemble ses affaires. Je suis tellement désolée pour elle. « Récusée ! » aboie maître B. Un gros souffle sort de la bouche de ce bout de femme qui faisait bonne figure. L'étau se resserre autour d'une autre jurée qui voit les sièges autour d'elle se vider. Une autre, assise en bout de rang, prête à sauter dans sa voiture, est appelée. Elle rejoint sa place sur l'estrade d'un pas lourd. Je prie toujours, il ne doit plus y avoir de sang dans mes doigts... Non, même jurée supplémentaire, je ne tiendrais pas la distance. Panique à bord. Dernier tirage, je suis en apnée. Si j'entends mon nom, je fais un malaise, c'est certain. Non, ce n'est pas le mien qu'appelle le président. J'observe ces gens avec qui j'ai déjà partagé un ou deux procès, je les vois prendre posture, le visage fermé, conscient qu'ils sont pris dans un procès d'ampleur. « Vous pouvez quitter la salle ». Je n'arrive pas à m'y résoudre. Ce procès, je l'ai visualisé tant de fois, j'y suis et j'ai besoin de savoir si mon imagination a déliré ou si le procès prend la tournure oppressante que je redoutais. Deux autres jurées se rapprochent, nous partagerons la matinée ensemble, peut-être plus.
Selon le rituel légal, le président demande à chaque avocat, d'après ce que j'ai compris, sous quel statut il intervient. Commis d'office, aide juridictionnelle, sont les mots que je retiens. Je tente de comprendre cette formalité traitée rapidement. Il me semble bien que Me B. demande à être commis d'office pour ce procès. Un avocat de renommée nationale, en déplacement loin de son bureau pendant quinze jours, qui demande à être payé des clopinettes ? Est-il un humaniste ? À la recherche d'une pub médiatique ? Préfère t-il éloigner tout soupçon de financement sali par les narcotiques ? Cette requête m'interpelle, et je ne suis pas la seule...
L'huissier fait entrer le premier témoin de la liste, le président lui fait confirmer son identité puis annonce son jour et son heure de passage devant le cour. L'homme se décale pour faire place au second témoin, puis un après l'autre, à la dizaine de témoins appelés. Serrés en rang d'oignons, convoqués par la défense comme par la partie civile, ils font face à la cour. Je pense reconnaître parmi eux des policiers, ceux qui se postent automatiquement jambes écartées, mains dans le dos et torse bombé.
Un avocat jusque-là en retrait, assis près d'une femme anxieuse, exprime une requête : ajouter sa cliente aux parties civiles. C'est elle qui est sortie après le coup de feu pour tenter de sauver la vie de l'homme à terre, sans même se poser la question de potentiels nouveaux tirs. Depuis, son psychisme est en miette, le tireur a ruiné sa vie, elle est donc aussi une victime. Maître B. ne laisse guère de temps à ces justifications avant d'en appeler au non-sens et au cadre légal qui exclue les victimes indirectes, d'autant plus quand elles viennent en qualité de témoin. Les débats n'ont pas commencé, le président doit déjà organiser un tour de parole des parties quant à leur position sur cette requête de dernière minute. En premier lieu, l'avocat de cette victime connexe tente de défendre sa demande en une plaidoirie un peu brouillonne et répétitive. Quelques minutes seulement pour rallier la cour à sa cause, pendant que Maître B. et sa consœur, maître A., l'observent sans conviction.
Le président entame la lecture des chefs d'accusation qui, comme à l'habitude, s'appuient sur le déroulé de l'enquête, les moyens mis en œuvre et les preuves recensées. Une demie-heure de lecture qui retrace la découverte du collègue à terre, les cinq jours de recherches jusqu'à l'arrestation des trois prévenus.
D'abord, il y eut la stupeur dans le commissariat à l'annonce d'un collègue touché, le déploiement de quatre-vingt personnels en ville pour bloquer, fouiller les moindres recoins et recueillir les témoignages, la prise en charge de la victime et de son collègue choqué, le décès prononcé, les éléments recoupés, les identités de suspects définies, leur traque, leur surveillance et leur arrestation. L'identité du tireur est apparue sous le nom de « l'Excellent », pseudo du dealer à la tête du trafic de cette petite rue où se sont déroulés les faits. « L'Excellent », ce surnom me fait rire d'un rire jaune. Un surnom frimeur pour un gamin de dix-neuf ans qui, au vu de son compte sur les réseaux sociaux, rêvait d'être le roi du monde. Un pseudo démesuré pour un grand ado, petit caïd dans la cour des grands méchants...
L'histoire racontée est tristement fortuite. L'équipe de policiers rentrait d'une mission quand elle a été appelée pour gérer de l'agitation dans cette rue si touristique du centre ville. Arrivés sur les lieux en civil, tout était calme, et ils ont décidé d'aller jeter un œil discret au commerce du quartier connu pour être un point majeur de deal. Au passage, l'équipe a repéré une transaction de stupéfiants, et se sont partagés pour contrôler l'identité des infractionnaires. L'acheteuse qui s'était éloignée a été interpelée plus loin par deux des policiers, la victime et son collègue. Passèrent près de ce contrôle deux jeunes, à pied. Un des deux promeneurs leur demanda s'ils « charbonnaient » (vendaient de la drogue), un des deux policiers s'avança vers lui. Deux ou trois coups de feu puis le tireur fuit et visa le deuxième policier qui tentait de l'arrêter. Voilà. Un contrôle d'identité banal, deux jeunes qui passent, deux phrases échangées, un policier mort. « L'Excellent » et son compère de promenade avaient trouvé refuge dans une cave où ils ont été surveillés. Leur départ en voiture escorté de scooters a déclenché une poursuite discrète et l'arrestation au premier péage d'autoroute.
Le président demande à chaque accusé ce qu'il pense de ces accusations. Mr A. répond : « Je ne souhaite pas m'exprimer », Mr B. : « Je ne savais pas qu'ils dormaient dans ma cave. », Mr Ab. : « Je reconnais avoir été sur les lieux du tir, mais je ne l'ai pas aidé à s'enfuir en Espagne. » Les prévenus sont impassibles, la famille de la victime essuie quelques larmes, les policiers ont les mâchoires serrées. Les dessinateurs tournent dans la salle, fixant cette tension palpable.
Avant d'ouvrir les débats, la cour se retire pour statuer sur la demande de nouvelle partie civile. Voilà une première pause bienvenue. Les journalistes sortent avec leur téléphone, les dessinateurs soignent quelques détails sur leur carnet, chacun chuchote avec son voisin.
La décision n'a pas dû être beaucoup débattue, la cour revient rapidement. Le requête est rejetée. Sans mettre en cause l'extrême traumatisme de cette dame, la cour ne peut la reconnaître victime directe du tireur, elle n'interviendra qu'en qualité de témoin. Il est déjà midi, les contre-temps de démarrage ne permettent pas de mener l'interrogatoire de Mr A. prévu en matinée. « La séance reprendra à 14h ». Une haie de journalistes caméra sur l'épaule encadre la sortie de la salle, ils attendent sans doute frénétiquement les avocats pour leurs premiers commentaires.
Un léger Mistral rafraîchissant, quelques rayons de soleil, enfin ! Nous revoilà, avec mes co-jurées du public, à marcher jusqu'au petit restaurant devenu notre table du midi. Nous sommes clairs, nous ne discutons pas de l’affaire. Par contre, nous échangeons principalement nos premières impressions au sujet de me B., conformes ou non, à nos pronostics. Dès le début de notre session, nous avions beaucoup parlé de lui, un avocat connu pour défendre les causes perdues. Pour ma part, je ne m'étais pas renseignée sur son tableau de chasse. Certes, son visage me parlait, mais j'avais préféré le découvrir complètement. Je n'avais donc pas vraiment imaginé sa personnalité. Ce matin, j'ai observé un homme sûr de son expérience, non pas serein mais combatif, et à l'aise, un peu trop à mon goût. Maintenant, je suis prête à penser que sa propension à défendre les indéfendables est le signe d’un releveur de défi, de ceux pour qui défendre une victime est un exercice bien trop simple, de ceux pour qui défendre un accusé perdu d'avance demande une stratégie intellectuelle de haute volée jubilatoire.
La liste de procès avait annoncé avec lui un confrère, et c'est une consœur qui est là. Place aux suppositions... On ne l'a pas beaucoup entendue, elle a plus souvent replacé sa frange que pris la parole, mais il y a quelque chose de hautain dans son regard. Nous n'en sommes qu'au stade des aprioris, observons la suite pour nous faire une idée plus juste. Retournons-y.
Comme ce matin, le hall bourdonne. Les gardiens de la salle d'audience organise l'entrée, chacun son tour : la famille de la victime, celle des accusés, les journalistes, les collègues policiers puis le public. J'avais calculé rapidement une centaine de sièges, une bonne partie est réservée aux journalistes. Ce sera juste, mais nous devrions tous rentrer.
Un expert psychiatre, un expert psychologue et l'enquêteur de personnalité interviendront après l'interrogatoire de l'accusé principal, Mr A.
« Mr. A, levez-vous et racontez-nous qui vous êtes, invite le président.
- Je ne souhaite pas m'exprimer.
- C'est votre droit, mais comprenez que nous avons besoin de savoir qui vous êtes, quelle est votre histoire...
- Je ne souhaite pas m'exprimer.
- C'est votre droit...
L'après-midi est consacrée à la personnalité de cet accusé qui ne veut pas parler de lui. Les experts décrivent tous, peu ou prou, la même personnalité. Mr A. était un enfant calme et discret, balloté entre placements en foyer, sa mère et son père, une adolescence agitée par une petite délinquance, la déscolarisation, un projet professionnel avorté, puis l'entrée dans le marché des stupéfiants. Intelligence normale, pas de maladie psychotique, ni sociopathique, ce jeune homme est comme la majorité d'entre nous, névrosé, mais « borderline ». Peu d'expression des affects, ses réactions sont bien plus souvent impulsives qu'intellectualisées. Voilà qui me fait penser à ces élèves à la vie déstructurée que nous contenions au mieux à l'école, avec ses valeurs républicaines. L'école, ce rempart contre la tentation de la violence gratuite et de l'argent facile, n'endigue malheureusement pas assez souvent la colère et le fatalisme de ces enfants à la dérive. Je touche à nouveau du doigt ce sentiment de défaite frustrante que j'avais parfois quand j'étais enseignante.
La moitié de la salle remplie de policiers semble indifférente à ce qui se raconte. La personnalité de l'accusé ne les rend pas curieux. Ils paraissent attendre le début du combat, le vrai, celui qui concernera les faits du jour du meurtre. Les journalistes prennent quelques notes, il est vrai que les trois analyses similaires donnent peu d'informations croustillantes pour la presse.
Trois jeunes hommes sont entrés après la pause, se sont installés au milieu du public, portant sur eux la froideur, la violence et cette soif de toute puissance. Épaules carrées, regard sombre, sourcils froncés, démarche de mercenaires, les quelques coups d’œil échangés avec l'accusé me glacent le sang...
Le président, pesant toujours ses mots pour s'adresser dignement et clairement aux prévenus, invite le principal accusé à s'exprimer :
« Mr A. vous venez d'entendre des experts parler de vous, avez-vous quelque chose à ajouter, à corriger ?
- Je ne souhaite pas m'exprimer. Il y a bien quelques petites choses que je corrigerais mais ça n'a pas tant d'importance.
- Vous êtes libre de revenir sur ce qui vous semble inexact, prenez ce droit, servez-vous en.
- Non, je ne souhaite pas m'exprimer.
- Il est dommage que vous ne preniez pas ce droit à la parole à votre bénéfice mais c'est votre droit de refuser de parler. »
Le jeune homme s'est fait oublier une bonne partie de l'après-midi, tête baissée entre ses genoux, cependant, lors de ce court échange pour lequel il était obligé de se lever face au président, une pointe d'agacement éraillait sa voix calme et polie, avant que son silence efface à nouveau toute expression sur son visage.
Dix-huit heures trente. Le président avait prévu un programme journalier allégé pour tenir deux semaines. Pourtant ce soir, au terme de cette première journée chargée de tensions, nous quittons la salle plus tard que prévu. Après trois procès, la constatation avait déjà été faite : passé le portail de sécurité, au sein de ce tribunal, le temps n'a plus le même rythme qu'à l'extérieur, il se déroule au gré de ce que les intervenants ont à dire et de ce que les avocats ont à leur questionner. Et ça, c'est la partie imprévisible du programme. Dans le hall, des caméras et des journalistes enregistrent leur résumé de la journée et la non-réaction du principal prévenu. Les avocats se prêtent au jeu médiatique donnant leurs premières impressions sur cette ouverture de procès.
À l'arrière du tribunal, alors que je retourne à ma voiture, j'aperçois deux fourgons de police, des véhicules et des motos qui se préparent à ramener en cortège les deux détenus les plus observés du moment. J'avais envisagé de n'assister qu'à la première journée du procès mais, je l'avoue, j'ai du mal à quitter ce tribunal qui m'a tant effrayée et tant passionnée. La curiosité de voir Monsieur le président œuvrer au milieu de six avocats, dont deux décidés à en découdre, trois prévenus peu loquaces, des policiers en attente de justice et une famille engluée dans sa peine, cette curiosité me démange fortement. Je pense que je reviendrais demain observer les rouages de la justice depuis le public. Regarder, écouter, ressentir, analyser les stratégies oratoires sans avoir à prendre position, quelle place confortable ! Je pense à ces jurés embarqués malgré eux dans cette aventure judiciaire pesante et de longue haleine, j'espère qu'ils trouveront le sommeil ce soir.
image issue de freepick.com