Celle qui avait un théâtre dans son poulailler / celui qui avait fait le conservatoire
Celle qui avait un théâtre dans son poulailler / Celui qui avait trouvé sa voie en cours de Français
Le Mistral a pris goût à nous décoiffer. Voir des promeneurs en coupe-vent début juillet n'a rien d'habituel, quand il devrait s'agir de ballet d'éventails et de chapeaux rafraîchissant les visages rougeoyants dès les premières heures du matin. Le soleil à son zenith devrait nous réchauffer dans quelques heures.
L'ouverture officielle de la partie Off du festival explique sans doute la saturation des parkings, et les effectifs accrus de tracteurs un chouïa plus insistants. La course au rabattage de clients est déclarée. « Désolée, je file à un rendez-vous, mais je vous souhaite un bon courage pour le festival », lancé avec le sourire suffit à détendre le tracteur qui s'approche déterminé. Un bon nombre d'entre eux sont des étudiants qui gagnent là leur salaire de l'été, je n'ai pas le cœur à les laissés pantois au milieu de leur discours d'accroche appris par cœur.
L'animatrice radio ce matin a enfilé sa petite laine, il est vrai qu'à l'ombre des immenses platanes, il fait « frisquet ». Les invités du jour ne sont pas tous comédiens. L'un est critique et présente ses coups de cœur, l'autre raconte l'histoire de la cour d'honneur, cette grande cour au cœur du Palais des Papes qui abrite les pièces majeures du In. En les écoutant, j'observe la place qui fut autrefois une sorte de rond point circulatoire et qui, devenue piétonne, offre l'ambiance d'une agréable place de village provençal. Un marché de livres d'occasion s'est installé à côté d'eux et profite de la musique diffusée par l'émission. La danseuse aux grands tissus a abandonné ses accessoires flottants au vent, elle n'en aurait pas tiré grand-chose ce matin. Une troupe de claquettes vient après elle faire résonner leur chorégraphie entre les terrasses des cafés.
Celle qui avait un théâtre dans son poulailler.
Une voix pleine de vie, chantante, forte, attire mon attention sur le plateau d'enregistrement. Une dame aux cheveux grisonnants et frisés est présentée comme comédienne, metteur en scène, formatrice, professeure. Elle annonce sa double nationalité italienne et avignonnaise qu'elle aime et assume pleinement. La pièce qu'elle a choisi de monter et d’interpréter lui tient particulièrement à cœur : une comédie à suspens qui donne à réfléchir sur les liens plus ou moins sincères qui tissent nos amitiés. Son intervention attire à elle quelques fidèles qui veulent la féliciter. J'attends mon tour.
Elle et l'homme qui l'accompagne répondent à ma demande avec un grand sourire : « Le festival c'est l'occasion de faire des rencontres et de discuter sans chichi avec les personnes sympathiques qui nous le demandent ! »
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédienne ?
« Depuis que je suis haute comme trois pommes, je crée des spectacles. Quand j'avais six ans, je distribuais des billets à mes copains pour venir me voir jouer dans mon poulailler ! Mais le déclic, ça a été aux scouts quand j'ai réalisé le bonheur que me donnait de chanter, animer, inventer en groupe. Je me suis dis: « Pourquoi ce ne serait pas possible de gagner ma vie ainsi ? » C'est ce qui m'a décidé à intégrer le Piccolo Teatro di Milano où j'ai beaucoup appris. C'était la première scène stable d'Italie, nous étions une douzaine formés par de grands noms. Certains d'entre nous sont devenus des vedettes du cinéma italien.
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédienne ! »
« Un jour, les professeurs m'ont convoquée. J'ai eu peur qu'ils m'annoncent que je ne faisais pas l'affaire. Une petite information après l'autre, ils ont fini par me dire : « Tu es faite pour la mise en scène, tu es très attentive aux détails du jeu. » Ils avaient raison, mais j'ai quand même continué la pratique de la scène. Comme dans la pièce que nous présentons cette année, il y a des rôles qui me tiennent à cœur alors je fais les deux en même temps : je dirige et je joue.
La première fois que je me suis sentie comédienne ? En 1984, notre troupe milanaise faisait une tournée un peu partout dans le monde et Jack Lang nous avait invités à jouer pour l'inauguration du premier théâtre de l'Europe, à Paris. Ce soir-là, j'ai senti que je faisais partie de la grande famille du spectacle. Oui, le théâtre c'est une œuvre collective. Une troupe, c'est une famille où chacun vient avec sa différence qui enrichit le groupe, sans oublier tous les autres intervenants autour de la scène qui contribuent à la réussite du spectacle et qu'on oublie trop souvent. La société a bien besoin de ce genre de projet en ce moment. »
Et tout ça, grâce à qui ?
« Ohlala, c'est grâce, entre autre à Marise Flach, ma formatrice en mime pendant des années au Piccolo Teatro di Milano. Elle m'a appris la rigueur, l'exigence, le travail. Avec elle, Jacques Lecocq et surtout le Maestro metteur en scène Giorgio Strehler, m'ont tant appris le métier: l'art du geste, de la parole, en répétant sans arrêt un mouvement, un texte, un état d'âme, une expression... à n'en plus pouvoir mais toujours en m'encourageant à faire mieux ! J'ai aussi beaucoup appris la respiration des textes, l'écriture et l'adaptation, avec Umberto Eco, professeur à l'Université DAMS (Discipline Arts Musique et Spectacle) de Bologna !
Mais Marise m'a particulièrement accompagnée, avec passion détermination, richesse des détails, pour l'art des mouvements mimiques et de la mise en scène, en tant d'années...
Les minutes s'égrainent et la discussion reste joviale, engagée. Elle pourrait parler de son métier, des élèves qu'elle a vus se transformer pendant des ateliers sociaux-culturels, quand elle est interrompue par des amis qui viennent l'embrasser chaleureusement. Nous nous promettons de nous revoir hors saison, quand la ville retrouvera son calme.
Celui qui avait trouvé sa voie en cours de Français
Passage à la Maison Jean Vilar, annexe de la Bibliothèque Nationale de France, le temple historique du festival présentant le parcours du comédien ayant créée la « semaine d'Art en Avignon» en 1947. C'est la première fois que je foule les pavés de cette cour qui fait face à l'hôtel de Ville.
Des bancs sous un grande bâche d'ombrage sont installés devant une petite scène. Y joueront quelques lycéens de la ville et leurs correspondants martiniquais, tous élèves en spécialité théâtre. Ils présenteront aux familles et aux curieux le fruit de leurs deux jours de Masterclass avec Nicolas Geny, au sein des archives du festival. Le comédien, metteur en scène et pédagogue, avertit la vingtaine d'élèves qu'il va être l'heure et qu'il faut se concentrer. Après avoir expliqué leur création : « Ce spectacle qui n'exista pas », les élèves anonent dans un fouillis organisé, tout autour du public, des informations quantifiables décrivant l'évolution du festival. Puis deux par deux, les élèves viennent raconter les circonstances imaginaires qui leur auraient fait manquer la représentation d'un grand classique du théâtre. Je profite des félicitations collectives pour aborder ce comédien professionnel qui prend rapidement sa sacoche sous son bras et regarde sa montre. Le temps lui est compté.
Vous souvenez-vous du jour où vous avez décidé d’être comédien ?
« Oui, clairement. J'étais en 3ème et la professeure de français nous faisait travailler Molière dans la cour du collège. J'ai adoré, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire de ma vie. »
Racontez-moi le jour où vous vous êtes dit : « Ça y est, j’y suis, je suis comédien ! »
« C'était au conservatoire de théâtre où je suivais des cours amateur. Un jour, le professeur m'a proposé de tenir un rôle professionnel. Je me suis dit : « S'il me le propose, c'est que je dois pouvoir être un « vrai comédien. » »
Et tout ça, grâce à qui ?
« A ma professeure de français, évidemment. Sans elle, sans ce cours qui m'a fait découvrir Molière et la scène, je serais passé à côté du théâtre ! »